Idéal démocratique et inégalités


I. La question de l'égalité dans les différentes sociétés

      A. Inégalités naturelles et égalité en droit

                     1. La nature crée des inégalités

Le fait que les hommes sont nés inégaux quant à leurs capacités physiques et mentales est cependant à prendre en considération. Certains surpassent les autres en matière de santé, de vigueur, en intelligence, en énergie, en détermination et sont ainsi mieux prédisposés au succès que le reste de l'humanité. Marx parlait de "l'inégalité des dispositions individuelles et donc des capacités productives" comme des "privilèges naturels". On peut donc dire que certains sont mieux adaptés à la lutte pour la vie, sans user de jugements de valeurs on pour alors distinguer des forts et des faibles. L'histoire montre que depuis des temps immémoriaux les forts ont profité de leur supériorité pour s'emparer du pouvoir er soumettre la masse des faibles. Dans les sociétés fortement hiérarchisées on trouve alors différentes castes ou différents ordres dans lesquels les positions sont acquises de façon héréditaire. D'un côté on trouve les seigneurs qui se sont appropriés toutes les terres et de l'autre on trouve les serviteurs, les serfs, les esclaves, les paysans sans terre. Le devoir des inférieurs est de se soumettre aux supérieurs et les institutions de la société ont pour objectif de maintenir au pouvoir la minorité dirigeante.

                  2. La doctrine des droits naturels établit l'égalité des hommes en droit

La doctrine des droits naturels qui inspira la déclaration des droits de l'homme du dix-huitième siècle ne signifie pas que tous les hommes soient biologiquement égaux. Elle signifie que tous les hommes sont nés égaux en droits et qu'aucune loi faite par l'homme ne peut nier cette égalité.

Ainsi, comme nous l’indique la raison, tous les hommes sont nés naturellement égaux c’est-à-dire dotés d’un Droit égal sur leur personne, et aussi d’un Droit égal à leur conservation […] et comme chaque homme possède un Droit de propriété sur sa propre personne, le travail de son corps et l’œuvre de ses mains lui appartient en propre et personne n’y a Droit que lui-même ; il s’ensuit donc que lorsqu’il tire n’importe quel objet de l’état où la nature l’avait mis, il y mêle son travail et joint quelque chose qui lui appartient ; ainsi il en fait sa propriété … Aussi, puisque chaque homme a un Droit naturel sur sa propre personne (il en est propriétaire) et sur ses propres actions et travail, ce que nous appelons la propriété, il s’ensuit sans aucun doute que personne ne dispose d’aucun Droit sur la personne ni la propriété d’autrui. Et si chacun possède un Droit sur sa personne et sa propriété, il a aussi le Droit de les défendre […] et donc le Droit de punir toute offense infligée à sa personne et à sa propriété.

Le Révérend Elisha Williams (1744)

1. A quel principe s'oppose le droit égal que chacun possède sur sa personne ? La disposition de soi s'oppose à l'esclavage, disposition de soi par un autre.

2. Pourquoi la propriété individuelle est-elle une condition de l'égalité de droit ? La propriété privée découle du droit de chacun sur sa personne et sur le fruit de ce qu'a produit sa personne, porter atteinte à la propriété privé c'est s'emparer de ce qui appartient à quelqu'un, disposer de son activité contre son gré et sans le rémunérer, ce qui revient à l'esclavage.

3. La loi français est-elle conforme au Droit tel qu'il ressort du droit naturel ? Non, nul ne dispose d'un droit sur la personne d'une autre (à moins que l'autre ait déjà attenté aux droits de la personne en question) donc pas de service militaire, nul ne devrait disposer d'un droit sur la propriété d'autrui donc remise en cause des impôts, des taxes et redevances.

4. Quelles sont les conséquences pratiques de la dernière phrase ?

B. Égalité en droit ou égalité de condition ?

1. Égalité en droit, inégalité en mérite

L'économie de marché a bouleversé l'organisation économique et politique de l'humanité. Si les sociétés pré-capitalistes se fondaient sur la domination des plus forts, le capitalisme ne permit plus aux plus aptes dans la lutte pour la vie d'user de leur supériorité sur les moins aptes, le succès devint alors la récompense de la seule capacité à satisfaire les besoins du plus grand nombre. On retrouve là le principe de la main invisible : chacun en cherchant son intérêt sert l'intérêt général, car dans une société marchande nul ne saurait s'enrichir sans offrir de quoi satisfaire les besoins des autres. Les inégalités de faits reflèteraient donc des inégalités de mérite : le mauvais boulanger qui ne satisfait pas bien ses clients sera pauvre et pourra même faire faillite, alors que le bon boulanger sera riche car il aura beaucoup de clients ; celui qui fournira le moins d'efforts, sera moins doué, moins créatif ne possédera pas les mêmes moyens financiers que celui qui travaillera dur tout en étant créatif et productif.

2. Passer des "droits de" aux "droits à"

L'égalité en droit que proclame la Révolution américaine, puis française est une égalité de chacun devant la loi : nul ne peut se prévaloir d'un droit qui serait refusé à un autre. L'égalité en droit se décline en droits de : droit de posséder, d'entreprendre, de passer des contrats et d'en définir les clauses.

Mais l'égalité en droit est porteuse d'inégalités puisque le droit de posséder par exemple ne garantit pas les moyens de posséder pour tous, certains seront donc propriétaires et d'autres ne le seront pas, ce qui constitue bien une inégalité. Tocqueville avait noté ce fait et pensait que la passion de l'égalité conduirait l'homme à abandonner la liberté que lui offre l'égalité en droit, pour aller vers l'égalité complète des conditions.

Cette évolution est à l'oeuvre dans les social-démocraties, de nouveaux droits y ont été créés qui ne découlent pas des droits naturels de l'homme mais de "droits sociaux" se présentant sous la forme de "droits à". On peut citer le droit à l'école, à la santé, au travail, au logement, aux vacances ... Il s'agit là d'accepter une inégalité des conditions mais de façon limitée, les inégalités de revenus ne doivent pas signifier une inégalité d'accès à certains services ou prestations. Cependant les "droits à" ne sont pas compatibles avec les "droits de" puisque ces droits sont financés par la collectivité contribuable, portant atteinte à la libre disposition de la propriété de chacun. En dehors des impôts et taxes le droit au logement peut aller jusqu'à l'exropriation de certains propriétaires fonciers, le droit au travail implique aussi le devoir d'embaucher tout chômeur donc atteinte à la liberté contractuelle.

Précisons : En quoi consistent les droits dont nous pouvons nous prévaloir car il est évident qu'il faille faire la part entre vrais et faux droits ?

 

Quand des droits deviennent légalement opposables car liés à la défense d'intérêts de groupes définis alors les conflits politiques et sociaux peuvent se déchaîner. Effectivement des intérêts peuvent entrer en conflit, mais des droits ne le peuvent pas. Il n'existe pas de vrais conflits relatifs aux droits de l'individu dans une société libre. Par contre bien des conflits vont naître de la détention de "droits sociaux", droits qui imposent à d'autres la charge de subvenir à leurs besoins érigés en droits, qu'il s'agisse d'éducation, de sécurité sociale, d'allocations, de subventions. Ceci consitue même le problème crucial de la démocratie des lobbies et de l'interventionnisme étatique. Dans une société libérale, les individus assument leurs propres risques et leurs obligations par contrat, alors que dans une société interventionniste, l'État impose des obligations par décrets, obligations qui entrent en conflit avec leurs droits naturels.

3. L'égalité des conditions : le communisme

Au-delà des "droits à", l'égalité complète des conditions implique le communisme. Les "droits de" sont abolis et l'État acquiert son pouvoir spoliateur maximum avant de fonctionnariser la société afin d'égaliser les revenus de chacun en fonction des besoins qu'il estime. C'est le fameux : "de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins" qui résumerait les principes du passage du capitalisme au communisme. En réalité le communisme n'est pas une avancée supplémentaire vers l'égalité la plus absolue. Non, il est au contraire un retour aux formes d'absolutisme des sociétés pré-capitalistes, là aussi il conduit à la sujétion du plus grande nombre à une élite que l'on a pu appeler Nomenklatura. Pourtant la société capitaliste est souvent décrite comme hiérarchisée avec une classe d'entrepreneurs exploitant la masse laborieuse. Mais cette vision marxiste ne cache pas que les entrepreneurs (les capitalistes) sont en concurrence perpétuelle, en réalité cette concurrence a pour but le meilleur service possible de la population consommatrice. Les innovations qui apparaissent suite à l'accumulation du capital vont rapidement profiter à tous plutôt qu'être accaparées par certains.

C. L'égalité de considération

1. La démocratisation

Pour Alexis de Tocqueville, toute société évolue vers plus d'égalité. Cette tendance passe progressivement de l'égalité civile, c'est-à-dire l'égalité devant la loi, à l'égalité politique qui est l'égalité des droits dont le droit de vote pour tous. La démocratie marque cette évolution et va aussi supprimer les barrières d'accès aux professions et distinctions ce qui va dans le sens d'une plus grande égalité des chances de promotion. Mais c'est surtout l'égalité de considération qui va marquer les sociétés démocratiques, chacun pourra s'y considérer comme l'égal des autres donc capable de réussir aussi bien que d'autres. Sur ce point Tocqueville va opposer la société américaine à la société française du dix-neuvième siècle. La société américaine est présentée comme une société pacifiée dans laquelle les inégalités de condition sont acceptées car les situations sociales ne sont pas figées ; alors que la société française a érigé des barrières sociales, considère l'existence de classes sociales figées et antagonistes ce qui conduit à faire des inégalités de condition une cause de conflits sociaux.

Tocqueville, vers l'égalisation des conditions

2. Élite et hommes du peuple, une inégalité de considération

Les préjugés communs établissent l'inégalité des hommes. Nous admettons que nous ne sommes pas les égaux des génies de l'art, de la littérature et des sciences et nous ne cherchons pas à nous comparer aux champions des disciplines sportives. Mais nous n'admettons pas notre infériorité dans d'autres domaines et donc ceux qui réussisent mieux que nous sur le marché, les entrepreneurs et les golden boys sont souvent conçus comme des profiteurs et bien sûr nous ne nous abaisserions pas à devenir aussi malhonnête qu'eux pour prospérer dans une société capitaliste. Mais ceux qui nous ont fait croire à cette malhonnêteté des business men sont précisément les mêmes que ceux qui considèrent l'homme du peuple comme un pauvre type, suffisamment bête pour ne pas être capable de décider de ce qui lui convient. Victime de la publicité, il se laisserait dicter ses goûts par des industriels (filière inversée de Galbraith), il consommerait en excès ce qui ne lui convient pas et trop peu ce qui lui sert (notion de biens tutélaires). Et pourtant, en réalité, l'homme du peuple est roi dans l'économie de marché, il est le consommateur qui a toujours raison.

Cependant, on nous a fait admettre aussi que l'homme du peuple n'a pas de goût. Or la demande est exprimée par des consommateurs et oriente donc l'offre vers de la littérature et de l'art de pauvre qualité. Un des grands problèmes de la société capitaliste consiste à déterminer comment mettre au point des réalisations de qualités alors qu'il s'agirait seulement de satisfaire une masse de "beaufs". La réponse serait bien sûr que les hommes de l'Etat doivent intervenir pour subventionner ce qui est bien et taxer ce qui ne l'est pas. Mais c'est là donner un pouvoir énorme à quelques uns sur la masse, c'est donc un retour vers des sociétés pré-capitalistes ou une évolution vers le communisme.

 

II. Égalité et justice "sociale"

Les sorcières des temps modernes

À force de conditionnement éducatif et médiatique, le discours anti-économique est sans doute le discours qui imprègne une grande majorité de français répartis sur l'éventail politique le plus large possible, de l'extrême gauche à l'extrême droite. Cette opinion est dans le meilleur des cas basée sur le rejet sincère de l'exclusion, de la pauvreté et de l'inégalité des chances qui anime la plupart de nos contemporains. Dans ce cas, le malentendu est tragique. En effet, le progrès social ne peut jamais se faire contre l'économie et il ne peut y avoir d'ordre social stable sans prospérité économique.

L'exclusion, la pauvreté, la corruption généralisée et l'inégalité sont les caractéristiques des sociétés de castes, d'ordres ou de classes dans lesquelles les logiques individuelles sont broyées au profit d'entités abstraites que sont les groupes sociaux, les classes sociales, les races, l'État ou le Parti. C'est le principe de l'organisation collective - et toutes ces notions qui lui sont dérivées comme les notions de « responsabilité collective », d' « opinion publique », de « justice sociale » ou encore de « violence sociale », de « dialogue social », de « prélèvements sociaux » ou de « mouvements sociaux » - qui empêche tout développement rationnel de l'économie.

L'exclusion et la corruption sont partout et toujours le résultat du dysfonctionnement de l'économie et de la négation de ses principes les plus élémentaires. Dans l'économie de marché, il y a évidemment des riches et des pauvres car il y en a dans toutes les sociétés et il y en aura toujours bien que les concepts modernes soient des concepts relatifs [1]. Mais, dans l'économie de marché, cette distinction n'est pas la marque d'une inégalité inscrite a priori entre des groupes sociaux prédéfinis une fois pour toutes. Cette inégalité sociale traduit l'inégalité ex post des performances économiques et, à ce titre, elle n'est jamais définitive, acquise et irréversible alors même que tous les individus sont égaux en droit. De même que le palmarès des pays ou des entreprises les plus riches est susceptible d'évoluer, la situation économique des individus dans une économie de marché dépend en grande partie de leurs propres choix et non d'une appartenance forcée à un groupe « génétiquement » prédéfini. Dénoncer le marché, la « dictature » de la bourse ou le règne les profits est la démarche la plus confortable mais la moins exacte : elle évite la réflexion plus approfondie et fait palpiter le coeur des âmes généreuses. Mais la générosité ne saurait être une excuse à la bêtise. Surtout, si elle est pour l'homme politique le moyen de se faire une image sociale toujours payante en terme électoral. Surtout si elle est pour le bourgeois qui a réussi le moyen de se racheter à bon compte une bonne conscience. Surtout si elle est pour les plus nombreux le moyen de faire peser sur les autres la responsabilité de leur propre situation.

La litanie est séduisante : Les patrons sont des exploiteurs et les ouvriers sont des victimes. Ces derniers sont exploités lorsqu'ils ont du travail et ils sont exclus lorsqu'ils sont sans travail. Même litanie pour l'immigration : la France est coupable d'avoir fait appel à la main-d'ouvre étrangère durant les trente glorieuses alors le travail excédait nos capacités démographiques. On reprochait alors aux entreprises d'exploiter la main-d'ouvre immigrée. Aujourd'hui, on reproche à la France d'accueillir des familles étrangères entières sans leur offrir des perspectives d'embauche et les entreprises sont suspectées de pratiquer une discrimination honteuse. On dénonce toujours ce que l'on ne comprend pas et c'est pourquoi l'ignorance est source de haine. Toute époque à ses sorcières à brûler.

Jean-Louis CACCOMO, le 6/03/2006

1. Pourquoi ne peut-on opposer l'économie au social ?

2. Que signifie être pauvre ?

3. Quelle différence peut-on faire entre l'égalité en droit et l'égalité de conditions ?

4. Que peut-on reprocher à ceux qui prônent l'égalité des conditions ?

[1] Le calcul du seuil de pauvreté se fait en référence à la notion statistique de médiane. Dans toute population, il existe toujours une médiane donc il y aura nécessairement toujours un seuil de pauvreté.

A. Situer les différentes formes d'égalité

1. Egalité en droit, égalité des chances, égalité des conditions

On pourra utiliser la métaphore sportive du 110 mètres haie pour différencier ces trois types d'égalité. L'égalité en droit implique que chacun puisse avoir le droit de participer à la compétition ; l'égalité des chances, que chacun partira au même moment de la ligne départ. Enfin, l'égalité des conditions suppose que tous devront franchir la ligne d'arrivée en même temps.

2. Introduire des inégalités au nom de l'égalité

Dans la métaphore du 110 mètres haie, certains des coureurs pourraient être obligés de sauter les haies alors que d'autres peuvent courir sans avoir de haies à sauter, il s'agirait là d'une inégalité de traitement voulue par les organisateurs de la course. Comment justifier cette inégalité, n'est-elle pas injuste dans le sens où elle introduit un handicap pour certains donc brise l'égalité des chances ? On considérera cependant qu'introduire un avantage pour certains est une mesure équitable visant à corriger un handicap, une plus grande égalité des conditions résulte là d'une discrimination - à l'égard des plus rapides - positive - car elle favorise les plus lents -. En rompant l'égalité de traitement, les mesures favorables à l'égalisation des conditions sont contraires à l'égalité en droit, on qualifiera de telles mesures de mesures équitables car considérées comme justes par ceux qui les introduisent, on parlera aussi de mesures de justice sociale.

Doit-on taxer à 100 % les héritages ?

B. La discrimination positive

1. La théorie de la justice selon John Rawls

L'égalité des conditions est attentatoires aux libertés individuelles et porteur d'inefficacité économique, néanmoins John Rawls cherche à concilier les principes de liberté et d'égalité. Pour lui, on ne peut parler d'injustice au sens strict que si les inégalités existantes ne sont pas au bénéfice de tous.

Ainsi, pour Rawls, les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :

d'abord, elles doivent être attachées à des fonctions, des emplois accessibles à tous, dans des conditions impartiales d'égalité des chances ;

ensuite, elles doivent satisfaire au principe de la différence, qui dit que les inégalités d' un ensemble de règles d'allocation sont justifiées pour autant que le sort du plus défavorisé y est meilleur que celui du plus défavorisé sous n'importe quelle autre mode d' allocation.

Cette préoccupation prioritaire pour le sort absolu des plus défavorisés porte le nom de maximin. Sur le plan pratique, le maximin s'écarte de l'égalitarisme lorsqu'il admet qu'une augmentation des inégalités peut être juste si elle est nécessaire à l'amélioration du sort du plus défavorisé, nous sommes là dans le principe de la discrimation positive.

2. L'application du principe de discrimination positive

Le principe de la discrimination positive se focalise sur les spécificités de chacun et entend rompre des inégalités initiales.

 

John Rawls, apôtre de ce principe le fonde à partir du concept de biens premiers qu'il a élaboré et pour lesquels il distingue :

les biens premiers naturels lesquels, comme leur nom l'indique, découlent de la nature qui en dote inégalement les individus, il peut s'agir des talents, de la santé. L'État ne peut rien en ce qui concerne ces biens premiers naturels

les biens premiers sociaux qui se composent des chances d'accès à des positions sociales valorisés, les avantages socioéconomiques qui découlent de ces positions sociales et les libertés fondamentales.

 

Rawls entend réparer les inégalités naturelles dans la dotation de biens premiers naturels en donnant à l'État un rôle de distribution des biens premiers sociaux compensant ces inégalités afin d'établir ce qu'il appelle une égalité équitable des chances. L'adhésion au mode de société que souhaite Rawls implique un contrat social entre des individus ne connaissant pas a priori leurs dotations en biens premiers (Rawls parle là du voile d'ignorance), tous accepteraient alors ce contrat social dans ces conditions de peur de se retrouver après la levée du voile d'ignorance dans la situation des plus défavorisés.

C'est bien au nom de l'équité que de nouvelles méthodes éducatives ont été introduites selon les spécifications de Pierre Bourdieu, lequel voulait rompre avec une "éducation bourgeoise" favorisant les enfants de familles aisées.

Les mesures de discrimination positive ont d'abord été appliquées aux États-Unis, elles se sont appliquées notamment à la population noire américaine dans le domaine universitaire : à résultat égal un élève noir pouvait entrer dans une université prestigieuse qui restait fermé à l'étudiant blanc. On peut faire un parallèle en France avec la voie d'admission à Sciences Po réservée aux lycéens de banlieues défavorisées. C'est toujours cette logique qui est à l'oeuvre lorsque le ministre de l'éducation décide de mettre en place des Zones d'Éducation Prioritaire (ZEP) dans les établissements fréquentés par une majorité de familles défavorisées et issues de l'immigration. Les ZEP permettent de bénéficier de moyens financiers plus importants et d'un plus fort taux d'encadrement que dans les autres établissements, afin de faciliter la réussite des élèves scolarisés.

Pourtant, il semble que les résultats des élèves de ZEP ne s'améliorent pas. L'application plus ancienne de la discrimination positive aux États-Unis sur une base ethnique a conduit à ce qu'à poste égal un Noir soit suspecté d'être moins compétent - a fortiori méritant - car il aura bénéficié de mesures de discrimination positive.

Ainsi sur le principe même le "maximin" de Rawls remet en cause la méritocratie, son principe d’égalité de chances ne signifie pas "la carrière ouverte aux talents" mais signifie que le libre marché doit être encadré par des institutions politiques et légales qui arrangent à long terme les tendances des forces économiques de façon à prévenir des concentrations considérées excessives de propriété et de richesse. Rawls, en estimant que la distribution des biens premiers est arbitraire, considère justifié que les mieux lotis ne puissent bénéficier de leur sort que pour autant que les moins bien lotis en profitent. Pour Rawls personne ne mérite donc ses avantages et possessions, la méritocratie doit être rejetée CQFD.

La notion de capabilité

Amartya Sen, dans Repenser l'inégalité, considère que l'inégalité est en partie liée à des différences de capabilité. La définition qu'il donne de la capabilité est la possibilité pour un individu de réaliser ses buts, de choisir la vie qu'il veut mener.
Or la nature fait que les capabilités sont inégales suivant l'endroit où nous naissons, notre sexe, notre hérédité, nos aptitudes et handicaps, notre environnement, etc. Ces inégalités s'ajoutent aux inégalités de ressources, ce qu'Amartya Sen qualifie d'inégalités en biens premiers (attention sa définition en est différente de celle de Rawls), en conséquence une égalité de revenu ne nous permet pas pour autant d'avoir les mêmes capacités d'atteindre nos objectifs. Ainsi même à revenu égal, un handicapé n'aura pas les mêmes capacités qu'un valide ; une femme dans certaines sociétés aura des possibilités de se réaliser inférieure à celle d'un homme. Ou encore une personne vivant dans un environnement culturellement pauvre ne réalisera pas ses fins aussi facilement qu'une personne se développant dans un milieu lettré.

La liberté de ceux qui sont désavantagés en terme de capabilité est donc amoindrie selon Sen. Il faudrait donc que chaque société établisse les capabilités minimales qu'elle garantit à ses citoyens.
Par exemple le droit formel de voter aux Etats-Unis n'est pas un droit réel tant que la société ne permet pas aux plus défavorisés d'être éduqués et même transportés jusqu'au bureau de vote pour pouvoir réellement apprécier ce droit et l'exercer.
On en revient ici à la distinction entre libertés réelles et libertés formelles des marxistes.

Sen considère donc qu'une plus grande égalité des capabilités passe par l'octroi de libertés positives c'est à dire de droits-créances (un droit à) auprès de la société.
Le sens commun donne pourtant un tout autre sens au terme liberté : celui de liberté négative, c'est-à-dire une liberté que l'on possède et à laquelle la société ne peut porter atteinte, est une liberté en ce sens le droit de propriété - défini comme la prohibition du vol - ; le droit de vivre - défini comme l'interdiction du meurtre -. Alors que la liberté de Sen c'est plutôt le droit à percevoir un revenu, un logement, une instruction.

La critique de cette vision qui permet l'égale capabilité a déjà été fournie au milieu du XIXème siècle par Frédéric Bastiat dans La Loi : " Et ce n'est point là une distinction vaine: le sens en est profond, les conséquences en sont immenses. Car dès qu'on admet qu'il faut à l'homme, pour être vraiment libre, le Pouvoir d'exercer et de développer ses facultés, il en résulte que la société doit à chacun de ses membres l'instruction convenable, sans laquelle l'esprit humain ne peut se déployer, et les instruments de travail, sans lesquels l'activité humaine ne peut se donner carrière. Or, par l'intervention de qui la société donnera-t-elle à chacun de ses membres l'instruction convenable et les instruments de travail nécessaires, si ce n'est par l'intervention de l'État ? Ainsi la liberté, c'est le pouvoir. - En quoi consiste ce Pouvoir ? - À posséder l'instruction et les instruments de travail. - Qui donnera l'instruction et les instruments de travail ? - La société, qui les doit. - Par l'intervention de qui la société donnera-t-elle des instruments de travail à ceux qui n'en ont pas ? - Par l'intervention de l'État. - À qui l'État les prendra-t-il ? C'est au lecteur de faire la réponse et de voir où tout ceci aboutit. "

3. Les politiques "équitables"

a. Favoriser les plus pauvres

Les politiques de redistibution sociale ont soit :

une logique horizontale consistant à taxer une partie de la population afin d'en financer une autre selon des critères qui ne sont pas ceux des revenus ou de la fortune. Ainsi favoriser la natalité implique une taxation relativement plus forte des célibataires et plus faible des familles nombreuses (système du quotient familial), elle implique aussi le versement d'allocations familiales d'autant plus importantes que la taille de la famille s'accroît.

une logique verticale, c'est-à-dire dont l'objet est de taxer les riches au profit des pauvres. C'est le cas des impôts progressifs dont les taux croissent avec le revenu et dont sont dispensés les plus pauvres, ou encore du RMI, revenu différentiel qui diminue et disparaît avec l'accroissement des revenus du titulaire.

La réduction des inégalités favorise donc les mesures de redistribution verticale alors que la redistribution horizontale ne permet pas de combler les inégalités de conditions. Il est ainsi question de revoir certaines politiques sociales afin que les prestations versées soient soumises à des conditions de revenus. C'est dans cette logique qu'il est périodiquement question de soumettre le versement d'allocations familiales à des critères de revenus donc en supprimer le versement à des familles moyennes pour encourager seulement la natalité des familles les plus pauvres.

b. Favoriser les handicapés et les discriminés

Les politiques sociales dites plus purement de "discrimination positive" ne concernent pas particulièrement les plus pauvres, mais visent à accorder des avantages particuliers à des populations dont la situation personnelle est dégradée par des handicaps ou une attitude jugée discriminatoire par la société.

C'est dans ce cadre que la loi imposera des quotas d'embauche aux handicapés dans les entreprises.

La création de certaines institutions destinées à lutter contre les discriminations raciales ou ethniques comme la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations à l'embauche) pénalise des comportements de discrimination à l'embauche au profit de minorités visibles sans qu'il soit facile d'établir la preuve de la discrimination, ce qui introduit de facto une discrimination positive dans le cadre des actes de la vie civile - pas seulement l'emploi, mais aussi l'accès au bail, à la propriété -. Le résultat de ces politiques peut être de transformer un délit des actes qui relevaient autrefois de la liberté contractuelle : un propriétaire exercant son droit de choisir son locataire peut se retrouver au tribunal pour discrimination raciale si une personne issue d'une minorité prétend que le bail lui a été refusé par racisme, le bailleur sera présumé coupable sauf à apporter la preuve de son absence de préjugés.

La discrimination lorsqu'elle est basée sur d'autres critères que l'efficacité trouve rapidement ses limites sur un marché régi uniquement par la loi de l'offre et de la demande. C'est là le sens de la démonstration de Gary Becker dans son livre " The economics of discrimination ". Il établit ainsi que la discrimination raciale, sexiste, ou autre pratiquée par certains employeurs était coûteuse pour ces mêmes employeurs lorsqu'une telle discrimination les conduisait à écarter certaines personnes plus productives ou aussi productives mais à exigence salariale moindre que celle qu'ils décidaient d'employer à leur place. Ce retard de productivité ou ce surcoût du travail dû à ce type de discrimination sera d'autant plus préjudiciable que le marché des biens et services sur lequel opèrent les employeurs discriminants est soumis à une forte concurrence, une perte de compétitivité en résultera donc, elle conduira à la perte de marchés voire à la ruine si la discrimination n'est pas remise en cause.

La question qui se pose est de savoir combien l'employeur est disposé à perdre économiquement pour maintenir son objectif discriminatoire. Doit-il écarter un directeur des ventes noir particulièrement efficace en le laissant partir à la concurrence, sachant que celui-ci va réaliser un chiffre d'affaire annuel de 50 000 euros supplémentaire à celui du directeur des ventes blanc qu'il a préféré embaucher ? Doit-il vraiment embaucher cette jeune secrétaire aux formes avantageuses sachant qu'elle a beaucoup moins de références que l'autre secrétaire de 50 ans, et qu'elle demande 300 euros de plus par mois ?

Par contre cette discrimination posera moins de problèmes dans des secteurs d'activité réglementés ou même dans le secteur public dans la mesure où la concurrence y sera justement réglementairement limitées voire inexistante. Il y est donc possible de faire des choix en fonction de préférence discriminatoire car les pertes qu'entraînent ces choix sont négligeables.
Ce principe vaut également pour toutes les mesures de discrimination positive : faciliter l'accès à l'emploi à des personnes en raison uniquement de leur appartenance à des minorités devient une source de retard en matière de productivité. Lorsque la discrimination positive devient obligatoire c'est l'ensemble des entreprises d'une nation qui sont alors touchées.

Un bémol tout de même : il est difficile d'anticiper la productivité de candidats à l'emploi avant de les avoir vu à l'œuvre. Une discrimination statistique est alors prise en considération : on anticipera le comportement ou l'efficacité du candidat non en fonction de sa personne, mais de son appartenance à telle ou telle communauté.

Les dérives du concept de justice sociale

4. Peut-on repenser la gratuité des services publics au nom de l'équité ?

C'est là une question que pose Alain Minc dans "La machine égalitaire". Parmi les services non marchands proposés par les admininistrations publiques, il conviendrait de déterminer ceux qui sont les plus utilisés par les riches et ceux qui sont davantage sollicités par les pauvres. Cet exercice est nécessaire car il ne serait pas logique du point de vue de l'équité - mise en avant par les partisans de l'égalisation des conditions - que les pauvres et les classes moyennes paient en tant que contribuables pour des services publics dont les riches sont les premiers usagers.

Une place de spectacle à l'Opéra Bastille coûte très cher et pourtant son prix de revient est largement plus élevé puisque l'État - en clair les contribuables - en prend plus de 50 % à sa charge. Comme nous le verrons la culture est un bien sous tutelle de l'État qui souhaite en démocratiser la consommation, pour autant les usagers fréquentant l'opéra font partie des catégories sociales les plus aisées, il serait logique qu'ils paient intégralement le prix du spectacle. Donc dans une logique d'égalisation des conditions il est absurbe que les biens et services culturels soient subventionnés. L'université est un autre service non marchand puisque les coûts d'inscription sont loin de permettre à eux seuls l'autonomie financière des établissements, là aussi donc l'État assure la plus grande partie du budget. Mais à qui profite surtout l'université, autrement dit quelle est l'origine sociale des étudiants ? On y trouve plus de fils et de fille d'enseignants, de cadres moyens et supérieurs que d'enfants d'ouvriers. Encore une fois, dans une logique d'équité, le financement public des universités pose problème, il conviendrait que les usagers se transforment en clients, c'est-à-dire paient intégralement le coût de leurs études, quite à ce qu'un système de bourses soit proposé pour les élèves d'origine moins favorisée. Il est donc incompréhensible que la gauche ne soit pas le premier défenseur de la privatisation des universités et plus généralement de tout service public profitant en priorité aux plus aisés.

C. Critique de la notion de justice sociale

1. Le droit à l'assistanat

Quand on songe qu'une partie notable de la nation ne conçoit pas de morale au-delà des lois et des ordonances de l'État, n'est-ce pas un décourageant spectacle de voir les plus saints devoirs et les ordres les plus arbitraires formulés par la même bouche, ayant souvent pour sanction la même peine ?

Cette influence pernicieuse n'agit pas moins sûrement sur les rapports des citoyens les uns avec les autres. Comme chacun se confie soi-même à la sollicitude de l'État, chacun se repose bien mieux encore sur elle du sort de ses concitoyens. La conscience qu'ils ont de l'intervention de l'État affaiblit l'intérêt qu'ils devraient se porter les uns et autres et les pousse à l'indifférence réciproque.

Au contraire, l'aide donnée en commun est d'autant plus active que chaque homme sent plus vivement que tout dépend de lui-même; et, l'expérience nous l'apprend, c'est chez les opprimés, abandonnés du gouvernement, que le sentiment de l'union redouble d'énergie. Mais quand le citoyen n'a qu'indifférence pour son concitoyen, il en est de même de l'époux pour son épouse, du père pour sa famille. Abandonné en tout au mouvement et à l'action, privé de tout secours étranger qu'il ne se serait pas procuré lui-même, l'homme sans doute, par sa faute ou sans sa faute, serait souvent en butte à l'embarras et au malheur. Mais le bonheur réservé à l'homme n'est autre que celui qu'il se procure à lui-même par sa propre force; et c'est là ce qui aiguise l'intelligence et forme le caractère. Quand l'État entrave l'activité individuelle par une intervention trop spéciale, combien de maux ne surgissent-ils pas ? Ils surgissent et abandonnent à un sort bien plus désespéré l'homme qui a pris l'habitude de se confier à une force étrangère.

Autant, en effet, la lutte et le travail actif allègent le malheur, autant, et dix fois davantage, l'attente sans espoir, déçue peut-être, le rend plus amer.

Guillaume de HUMBOLT

1. Comment l'auteur considère-t-il les aides publiques et la charité privée ?

2. Peut-on dire que charité privée et aides publiques sont complémentaires, pourquoi ?

3. Quels sont les conséquences de l'aide publique sur ceux qui la reçoivent ?

4. Une réforme de l'aide publique doit-elle être envisagée ? Quelles en seraient les conséquences sur la cohésion sociale ?

2. La "justice sociale", enjeu de rapports de force

Friedrich Hayek

La justice sociale est une fiction, une baguette magique: personne ne sait en quoi elle consiste !

Grâce à ce terme flou, chaque groupe se croit en droit d'exiger du gouvernement des avantages particuliers. En réalité, derrière la "justice sociale", il y a simplement l'attente semée dans l'esprit des électeurs par la générosité des législateurs envers certains groupes.

Les gouvernements sont devenus des institutions de bienfaisance exposées au chantage des intérêts organisés. Les hommes politiques cèdent d'autant plus volontiers que la distribution d'avantages permet d'"acheter" des partisans. Cette distribution profite à des groupes isolés, tandis que les coûts en sont répartis sur l'ensemble des contribuables ; ainsi, chacun a l'impression qu'il s'agit de dépenser l'argent des autres.

Cette asymétrie entre des bénéfices visibles et des coûts invisibles crée l'engrenage qui pousse les gouvernements à dépenser toujours plus pour préserver leur majorité politique. Dans ce système que l'on persiste à appeler "démocratique", l'homme politique n'est plus le représentant de l'intérêt général. Il est devenu le gestionnaire d'un fonds de commerce: l'opinion publique est un marché sur lequel les partis cherchent à "maximiser" leurs voix par la distribution des faveurs.

 

Les citoyens, dans les sociétés occidentales, ont cessé d'être autonomes : ils sont comme drogués, dépendants des bienveillances de l'État. Cette perversion de la démocratie conduit à terme à l'appauvrissement général et au chômage, car les ressources disponibles pour la production des richesses se tarissent inéluctablement.

Friedrich Von HAYEK

1. En quoi la justice sociale est-elle une fiction selon l'auteur ?

2. En fonction de quelles considérations la redistribution s'opère-t-elle ?

3. En quoi cette redistribution n'est pas conforme à ce que devrait être la justice sociale ?

4. Quelles sont les conséquences des politiques d'aide sociale pour la société ?

Ce sont donc les intérêts les mieux organisés et les plus politiquement puissants qui obtiennent une redistribution du revenu au détriment de tout le monde. Ce "rent seeking" crée une perte sèche pour l'ensemble de la population, dans la mesure où ce jeu n'est même pas à somme positive dans la mesure où des fonds et du temps sont investis dans la publicité des causes à promouvoir et dans leur affrontement.

D'ailleurs comment penser que la réduction des inégalités passe par une politique de redistribution à grande échelle ?

La loi de Bitur-Camember

III. Égalité et efforts individuels

A. Les inégalités sont un moteur de l'activité

1. La méritocratie : une éthique de l'inégalité

le travail c'est durLa cigale ayant chanté tout l'été se trouve fort dépourvue lorsque la bise fut venu, elle alla crier famine chez la fourmi sa voisine...

Cette fable de La Fontaine est bien connue ainsi que sa moralité méritocratique : la cigale récolte le fruit de son oisiveté en souffrant de la famine, la fourmi au contraire ne meurt pas de faim et a accumulé des économies qui lui permettraient de venir en aide à la cigale, mais pour cela elle a dû renoncer à l'oisiveté et travailler sans arrêt. Chez La Fontaine il n'y pas d'État-Providence pour saisir les économies de la fourmi afin de faire manger la cigale, la morale est donc "qui ne travaille pas ne mange pas".

Selon Max Weber on retrouve ces principes dans l'éthique protestante : la réussite matérielle implique la frugalité, l'épargne et l'accumulation, alors que vice et oisiveté mènent à la pauvreté.

2. Les inégalités de condition permettent d'enrichir la société

C'est bien la valorisation de l'effort chez les Protestants qui les conduit à ne pas développer de système de redistribution au profit des "cigales". Mais tous les économistes ne se fondent pas sur des considérations morales pour appuyer les inégalités de condition, mais sur des considérations utilitaristes.

Qu'est ce que l'utilitarisme ?

À travers la main invisible il ne s'agit plus de glorifier l'effort ou d'émettre une considération morale sur l'égoïsme mais d'accepter les inégalités de conditions dans le sens où elles sont conformes à l'intérêt général. Ces inégalités de condition sanctionnent la contribution de chacun à l'utilité sociale comme nous l'avons vu dans l'exemple cité précedemment.

Mais pour démontrer que les inégalités de condition sont nécessaires à l'enrichissement de la société, faison un raisonnement a contrario. Il serait possible de garantir à tous l'égalité de conditions : manoeuvre, chômeur, médecin, chef d'entreprise, tous quelque soit leur travail et leur contribution à la création de richesses pourraient bénéficier du même revenu disponible. Il suffirait pour cela que l'État impose à 100 % les revenus du travail et du capital, il se chargerait ensuite de verser des allocations égales pour chacun. On voit ici que taxer le capital serait nécessaire car avec les mêmes revenus certains épargneraient pour toucher des intérêts et à terme s'enrichiraient par rapport aux autres, il faudra donc taxer à 100 % l'épargne. Dans cette configuration le niveau de vie de chacun n'est pas en rapport avec l'activité exercée, la capacité d'épargne ou l'intensité des efforts déployés. La nature humaine étant conforme aux hypothèses relatives à l'homo eoconomicus - minimisation des peines, maximisation des plaisirs -, il arrivera immanquablement que la motivation à l'activité sera en panne. A quoi bon faire du zèle dans le travail si mon voisin gagne autant avec le minimum d'efforts ? Pourquoi se priver de consommer et donc épargner si les revenus de l'épargne sont intégralement taxés ? Pourquoi consacrer des années à acquérir une formation si un poste qualifié ne rapporte pas plus qu'un poste sans trop de qualifications ni de responsabilités ?

L'égalité des conditions n'offre aucune motivation matérielle et ne permet donc pas d'augmenter la productivité, elle ne créé pas d'entrepreneurs car la prise de risque n'est pas récompensée. Elle conduit à une société fonctionnarisée dans laquelle la création de richesses est limitée par la faible activité de chacun. L'égalité ne peut se faire que dans la pauvreté car avant de répartir il faut produire et l'on ne peut répartir que ce qui a été produit.

La conséquence en est qu'une personne pauvre dans une société où l'inégalité des conditions existe sera tout de même plus riche qu'une personne vivant dans une société pratiquait l'égalité absolue !

3. Investir et entreprendre

Espoir de gains et incertitudes retrouvent leur place dans des sociétés connaissant l'inégalité des conditions. Les différences de revenus permettent aux milieu les plus aisés d'épargner de façon conséquente, l'ensemble de la population se constitue également une épargne de précaution pour faire face aux aléas de la vie. Cette masse d'épargne permet de financer les investissements nécessaires au développement économique ; et ces investissements seront effectivement entrepris dans la mesure où les entrepreneurs, risquant au passage de perdre leur mise, pensent concrétiser des espoirs de gains importants. L'entrepreneur innovateur cher à Joseph Schumpeter ne peut exister que dans des sociétés où le profit est rendu possible. Chacun sera à la recherche du profit maximum et la société en sera dynamisée, les situations ne seront pas figées et donc jamais acquises.

Le partage du pain

4. L'allocation optimale des ressources

Les inégalités permettent une course à l'enrichissement :

les salariés vont chercher les salaires les plus élevés lesquels ne peuvent être versés que dans les branches en croissance alors que ceux en perte de vitesse rémunèrent moins ;

les investisseurs vont chercher les placements les plus rémunérateurs et donc orienter leurs capitaux vers les branches les plus prometteuses alors que ceux qui n'emportent plus les faveurs du publics rapportent si peu qu'ils n'offrent que peu de bénéfices voire des pertes.

Ainsi travail et capital, à la recherche de la meilleure rémunération, permettent une allocation optimale des facteurs : ils se dirigent vers les branches où ils sont les plus nécessaires.

Malheureusement cette allocation optimale est perturbée par l'État-Providence qui, au nom d'une réduction des écarts de revenus et afin de lutter contre le chômage, va subventionner les branches qui marchent moins bien et donc perturber l'allocation optimale des facteurs. Par exemple la chute du prix de la tomate va pousser les maraîchers à réclamer un soutien public. Il ne faudrait pourtant pas que l'État subventionne la production de tomates et maintienne ainsi le revenu maraîcher, au contraire il faut qu'ils subissent cette baisse de revenu pour qu'une partie d'entre eux se tourne vers des productions plus rentables, et permette de la sorte la disparition de la surproduction. A vouloir éviter le creusement des écarts de revenus, l'État-Providence fige les situations - empêche les reconversions -, maintient la surproduction tout en faisant subventionner les revenus des producteurs par les contribuables, ce qui n'est pas juste.

B. D'autres inégalités cassent l'activité

Puisque les inégalités sont de nature diverses et que certaines égalités ne sont pas compatibles avec d'autres, les inégalités de conditions sont aussi favorables à l'activité que les inégalités en droit lui sont funestes.

1. À travail égal salaire inégal

Pour qu'une inégalité des revenus soit justifiée, il faut qu'elle reflète des différence de productivité (le boulanger qui fabrique plus de pain en vend davantage donc s'enrichit plus vite), de qualité de travail (le boulanger qui fabrique le meilleur pain prend des clients à ses concurrents), d'utilité sociale (le boulanger est plus utile à la société que le peintre abstrait subventionné par un Conseil général, il devrait donc gagner davantage). Dans le dernier cas ceci n'est pas souvent vérifié, l'État crée donc des situations de privilèges injustifiables qui détourne des individus d'activités productives donc favorables à la société toute entière.

Mais même pour une profession identique à productivité semblable, le principe "à travail égal salaire égal" ne s'applique pas. Ainsi, dans les faits, la fixation des salaires dépend de plus en plus de rapports de force puisque les syndicats, par le jeu de mouvements sociaux dont les "conquêtes" sont enterinées par les conventions collectives, impose dans certains secteurs des salaires plus élevés qu'ailleurs. Ainsi les grandes entreprises du secteur industriel, à forte tradition syndicale, rémunèrent mieux leurs salariés que ne le font leurs sous-traitants. Certains métiers protégés comme les imprimeurs ou les dockers bénéficient d'avantages importants, il en va de même dans les entreprises publiques. Dans ce cas les inégalités sont injustifiées et ceux qu'elles défavorisent peuvent se sentir floués et découragés.

2. La compétition doit être ouverte

L'inégalité des chances peut exister de facto ou dans les têtes. Quand le népotisme règne ou qu'une ségrégation s'est mise en place, le fait de ne pas être fils ou fille de ..., de ne pas appartenir à la bonne caste ou à la bonne ethnie empêche toute progression sociale alors des énergies, des capacités sont gaspillées, des ressentiments justifiés peuvent remettre en cause l'ordre social. La mobilité sociale est nécessaire au dynamisme d'une société, qu'une personne sans talent jouisse d'une situation sociale favorisée ou qu'une personne talentueuse soit au bas de l'échelle sociale ne permet pas une efficacité économique porteuse d'une croissance optimale.

Mais même si l'égalité des chances n'est pas pleinement effective, le sentiment selon lequel il existerait une fatalité sociale empêchant le fils d'ouvrier de devenir cadre est en lui-même un obstacle à la mobilité sociale. Sans parler du concept de résilience selon lequel des débuts difficiles dans la vie donnent un désir plus grand de réussite, on peut constater le succès de la diaspora asiatique aux États-Unis, en particulier des familles d'origine vietnamienne et coréenne qui ont réussi en une génération à intégrer les classes moyennes et supérieures, alors qu'une part importante de la minorité Afro-américaine et Chicano ne progresse guère en dépit de la discrimination positive. Le fait que la population noire américaine développe une victimologie raciste comme c'est le cas en France pour les jeunes d'origine maghrebine peut être une excuse pour un refus d'intégration et un fatalisme de l'échec social.

Si l'égalité des chances est assurée alors la compétition est ouverte et le succès ne peut être dû qu'à des efforts individuels.

 

Bibliographie :

La question de l'égalité chez Ludwig Von Mises
Repenser l'inégalité, Amartya Sen

Théorie de la justice, John Rawls + sa critique par Ivo Cerckel

La machine égalitaire, Alain Minc