A partir d'une étude de cas réalisée par Matthieu Mucherie : "le recul de la grande pauvreté dans le monde".

Le Sud de plus en plus pauvre ?

Cet a priori est largement véhiculé par les media et les anti-mondialistes du mouvement Attac, à partir de leur conception erronée d'une logique de l'échance à somme nulle. Selon eux le développement de la mondialisation se fait par la pillage du Tiers Monde, et donc les riches des pays développés s'enrichiraient de plus en plus alors que les pauvres notamment des pays pauvres seraient de plus en plus pauvres. L'enrichissement des uns passant par l'appauvrissement des autres, on se situe ici dans une logique d'exploitation.

Mais en dehors des doctrinaires de l'impérialisme, les arguments livrés par les antimondialistes ne sont pas très clairs. Il semble y exister une tendance à mélanger les inégalités et la pauvreté. Effectivement, si l'on se réfère à des modèles de développement comme celui de Kuznets, le creusement initial des inégalités ne signifie en rien l''appauvrissement des plus pauvres, au contraire leur enrichissement est patent mais plus lent que pour les autres catégories de la population. Le développement conduit donc d'abord à un enrichissement inégal puis à une réduction des inégalités postérieure à la phase de décollage économique. Cette évolution est-elle perceptible au niveau mondial depuis les années 1980 ?

Mais qu'est ce que la pauvreté et les indicateurs ne sont-ils pas manipulables pour que l'on obtienne les résultats que l'on veut ?

Quand on dit que la majeure partie des habitants du Sud vivent avec moins d'un dollar par jour (seuil de pauvreté absolue) qu'est ce que cela veut dire ? Cette statistique est-elle actuelle, générale, concerne-t-elle la famille, le ménage, l'individu et implique-t-elle que l'on meure de faim ? Et ces revenus d'où viennent-ils, du travail, de l'assistance, d'un patrimoine, intègrent-ils l'autoconsommation ?

L'indicateur de pauvreté qui fait autorité sera celui développé par la même institution qui entend utiliser l'IDH à la place du PIB. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) est donc à l'origine de l'Indicateur de Développement Humain. Seulement cet indicateur n'est pas universel, il se décline en un IPH 1 pour les PED et un IPH 2 pour les pays de l'OCDE. Il peut paraître étrange que l'on ait à modifier l'indicateur selon les pays considérés, en réalité ceci est du à l'absence dans le calcul de l'IPH 1 d'un seuil de pauvreté construit à partir du revenu médian dans la mesure où celui-ci était très bas, se situer à la moitié du revenu médian impliquerait la mort par inanition dans l'hypothèse où les seuls revenus seraient monétaires. Ce qui serait ignorer l'importance des pratiques de troc et d'autoconsommation dans les PED.

L'IPH 1 sera donc construite à partir de trois indicateurs en pourcentage :

P1 pour les décès avant 40 ans ;
P2 pour l'analphabétisme ;
P3 pour les conditions de vie dont P31 pour l'absence d'accès à l'eau potable, P32 pour l'absence d'accès à des services de santé et P33 pour la part des enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale.

A partir de là le PNUD calcule l'IPH 1 de la façon suivante.

Donc ne tenir compte que des revenus monétaires dans les PED n'est pas pertinent pour estimer la pauvreté, c'est bien le sens de l'IPH1 qui insiste sur lesmultiples dimensions de la pauvreté. Mais à partir d'une évolution divergente des indicateurs pourrait-on dire que la pauvreté reflue ou le contraire ? Une amélioration des conditions sanitaires peut elle compenser un analphabétisme plus massif par exemple ?

Donc des indicateurs plus ou moins fiables selon les pays

D'abord est-ce la même chose que de vivre avec un dollar par jour aux Etats-Unis, en France ou au Mali ? Certainement pas, le panier de biens disponibles pour la somme d'un dollar sera différent selon les pays. Disposer d'un dollar par jour ne veut donc pas dire grande chose indépendamment de l'emplacement géographique considéré : il faudra donc raisonner en Parité de Pouvoir d'Achat.

Et puis les statistiques de population, mais aussi production, de revenus et de consommation des pays en transition et des PED sont elles fiables ? Là se pose le problème de l'économie informelle laquelle peut atteindre dans certains pays jusqu'à la moitié du PIB officiel. On sait par exemple que les statistiques catastrophiques relatives à la CEI en matière de production cachait une situation moins dramatique de par l'importance de la non-déclaration due à un système fiscal aberrant et un appareil statistique en décomposition.

Le Sud de moins en moins pauvre, mais ...

Afin que les études réalisées puissent révéler la situation véritable des populations des PED il faut distinguer l'évolution de la situation d'un point de vue monétaire et d'un point de vue non monétaire.

D'un point de vue monétaire

On reprend ici l'antienne d'une populaion vivait avec moins d'un dollar par jour et par habitant. L'OCDE a évalué la part de la population mondiale vivant à ce niveau en dollar constant 1990 : cette part était approximativement de 50 % en 1950 et de 15 % en 2001. Mais la Banque Mondiale a relancé le débat en publiant des résultats très différents (une bombe laissée par Joseph Stiglitz, son ancien cadre passé à l'antimondialisation ?) dans son "Rapport sur le développement mondial" (2000-2001) en annonçant que les pauvres s'appauvriraient, plus exactement que « Le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour a augmenté de 1,18 milliard en 1987 à 1,20 milliard en 1998 ». Même si la Banque Mondiale se contredit en affirmant dans son rapport "Globalisation, croissance et pauvreté" (2001) que sur la même période le nombre de personnes vivant avec moins d'un dollar pas jour n'a pas bougé, cela ne signifie pas une hausse de la pauvreté. Il faut effectivement tenir compte de la hausse concommitante de la population mondiale (particulièrement due à la croissance démographique dans le Sud) qui est estimée à 1,6 milliard d'habitants de 1980 à 2000. On pourrait alors en arriver à des estimations moins optimistes que celles de l'OCDE, mais émises elles aussi par des économistes de la Banque Mondiale : la part de la population mondiale vivant avec moins d'un dollar par jour et par personne passe de 40 à 21 % entre 1981 et 2001. Ces estimations sont plus conformes aux observations établissant l'augmentation du revenu moyen mondial depuis 1980.

D'un point de vue non monétaire

En reprenant les critères de l'IDH, on peut noter une amélioration de l'espérance de vie au Sud, avec quelques exceptions notables due au sida et aux morts violentes dues à des situations d'affrontement ethnique. Les Africains s'en sortent donc les moins bien alors que pour l'ensemble des PED l'espérance de vie passe de 55 ans en 1970 à 65 ans en 1999, avec des différences marquées par ensemble de pays. Concernant l'analphabétisme ......

Enfin l'indicateur relatif aux conditions de vie montre une accessibilité plus grande à l'eau potable et à des services de soin, la sous-alimentation régresse de 37 % de la population mondiale en 1970, à 29 % en 1980, puis 15 % en 2003.

On peut dire qu'en l'espace de 50 ans le Sud a connu un triple triplement : celui du revenu moyen, de l'espérance de vie et de la population.

... Face à une Asie qui s'enrichit l'Afrique ne décolle pas

Cela peut paraître une évidence mais la pauvreté persiste là où la croissance économique ne décolle pas, c'est toujours la même histoire : pour que les parts des plus pauvres s'accroissent il faut que la taille de la tarte augmente.

Ainsi seul le tiers des PED, ceux surtout situés en Asie, a connu une forte croissance. Ceci a permi de tirer une grande partie des plus pauvres de leur situation car c'est justement en Asie que se situent des géants démographiques comme la Chine ou l'Inde. Bien que dans ces deux pays les régions profitent inégalement de la croissance, la part la plus pauvre de la population se sort de la pauvreté absolue.

Par contre l'Afrique Noire est laissée sur le côté, elle rate le train de la mondialisation et dilapide l'argent de l'aide internationale. La responsabilité ne porte pas seulement sur les dirigeants mais aussi sur le protectionnisme des pays du Nord et à cet égard la Politique Agricole Commune siège au banc des accusés. Faute de croissance, la part de la population africaine demeurant à un niveau de pauvreté absolue reste constante.