La création monétaire
I. Le mécanisme de création monétaire
A. La création de monnaie par les banques commerciales1. La création de monnaie par le crédit
Considérons la création monétaire à partir d'un exemple simple : un particulier, M. Vincenzo a besoin d'un prêt de 50 000 pour s'acheter un appartement, il souhaite obtenir ce prêt auprès du Crédit Agricole qui est prêt à lui consentir un taux d'intérêt attractif sur 10 ans.
Le prêt octroyé, les écritures comptables suivantes vont être passées :
Monsieur VINCENZO | |
Actif |
Passif |
Compte au Crédit A gricole : 50 000 |
Dette à l’égard du Crédit Agricole : 50 000 |
CRÉDIT AGRICOLE | |
Actif |
Passif |
Créances sur M. Vincenzo : 50 000 |
Compte de M. Vincenzo : 50 000 |
Le crédit a bien été accordé sans dépôt préalable. Donc quand une banque commerciale accorde un crédit à un agent économique (particulier, entreprise), elle créée de la monnaie scripturale en portant la somme correspondant au crédit accordé sur le compte à vue du client bénéficiaire du prêt. Il y a destruction monétaire lors du remboursement du prêt (débit du compte du client de la banque).
Mais
attention, tout octroi de crédit par les banques n'implique
pas forcément une création monétaire. Dans l'exemple
que nous venons de voir le crédt accordé se fait ex nihilo,
c'est-à-dire à partir de rien, il y a donc bien création
de monnaie. Par contre il n'y a pas de création monétaire lorsqu'une
banque joue un simple rôle d'intermédiaire financier entre des
agent qui placent leur épargne et ceux qui empruntent, on parle là
d'un système de crédit réel dans lequel on ne peut investir
que ce que d'autres ont préalablement épargné.
2. La création de monnaie par les devises
Lors de l'envoi de marchandises à l'étranger, l'exportateur pourra se fera payer en devises et changer ces devises contre des euros auprès de sa banque. Là encore de la monnaie est créée car le compte de l'exportateur est crédité. Au contraire les importations payées en euros donnent lieu à destruction de monnaie car le compte de l'importateur est débité.
3. La création de monnaie par les avances à l'État
Les ménages et les entreprises ne sont pas les seuls agents économiques à s'endetter auprès des banques. La mauvaise gestion du budget de l'État le conduit à rechercher des financements pour compenser le déficit budgétaire (dépenses publiques > recettes publiques). Ce financement du déficit budgétaire passe ordinairement par l'émission de bons du Trésor, ceux-ci seront achetés par les banques qui devront créer de la monnaie scripturale à hauteur de leurs achats.
Synthèse : les modes de création de la monnaie scripturale :
Monnaie
créée |
Contrepartie |
Comptes
à vue des agents non bancaires (monnaie scripturale) |
Devises
Créances
sur le Trésor Public (bons du Trésor, …) Créances
sur les entreprises non financières et le ménages (85 % de la création
monétaire) |
Exercice sur la dix-septième leçon de "39 leçons d'économie contemporaine"
B. Les limites à la création monétaire
1. La demande de crédit
L'émission de monnaie par les banques commerciales n'est pas illimitée. D'abord, elle dépendra de la demande de crédits par les agents économiques. Ceux-ci ne consentiront à s'endetter que pour des achats ou des investissements prévus en tenant compte du taux d'intérêt réel et de leur volonté de consommation ou de croissance.
2. Les fuites
Le pouvoir de création
monétaire est limité. A n’importe quel moment, le détenteur de monnaie scripturale
peut demander à être remboursé en monnaie centrale (billets). Si la banque crée
trop de monnaie, elle a des problèmes pour en assurer la convertibilité .
Les risques de fuite auxquels elle doit faire face sont de trois ordres :
les fuites en
billets liées aux habitudes des usagers (achats en liquide ...), lesquels vont
retirer de la monnaie fiduciaire auprès des DAB (distributeurs automatiques
de billets).
les
fuites en réserves : la Banque Centrale impose aux banques de second rang (banques
commerciales) des réserves obligatoires, c’est à dire des comptes non rémunérés
en monnaie centrale à la banque centrale. Toute banque se doit donc de conserver
une étroite proportion entre sa réserve de monnaie centrale et sa création monétaire
afin d’éviter tout risque d’illiquidité et donc d’assumer dans la mesure du possible
un phénomène de " défiance " ou de " run ".
Ce critère de solvabilité a été renforcé par la réglementation Cooke adoptée le
11 juillet 1988 (qui redéfinit une norme minimale de capitaux de base ou de fonds
propres - 8 % des actifs pondérés en fonction du risque -).
la compensation interbancaire
: L'argent créé par les banques commerciales ne restera pas sur les dépôts à vue
de ses clients, il servira en partie à effectuer des chèques, des virements vers
d'autres banques. L'argent que se devront les banques entre elles nécessitera
le recours à la monnaie banque centrale.
Comment s’effectuent les opérations de compensation entre banques et pourquoi leur pouvoir de création monétaire se trouve limité ?
D'abord
les
banques annulent un maximum de leurs dettes et créances réciproques (chèques émis
par chacune d’elles, remis à ses concurrentes par ses clients).
On procède
aux échanges bilatéraux (entre établissements pris deux à deux), puis à un arbitrage
multilatéral (si A doit 100 à B qui doit 100 à C qui doit 100 à A, on annule les
chèques). Les dettes non compensées sont honorées en monnaie banque centrale (billets).
Situations créditrices et débitrices des banques avant compensation interbancaire
Situations débitrices |
Situations créancières | |||
BNP |
CL |
SG |
Sommes à payer | |
BNP |
|
4 |
4 |
8 |
CL |
5 |
|
8 |
13 |
SG |
6 |
8 |
|
14 |
|
11 |
12 |
12 |
35 |
Le tableau se lit ainsi :
La Banque Nationale de Paris après compensation a une position créancière nette de 11 - 8 = 3 milliards
Le Crédit Lyonnais après compensation a une position débitrice de 12 - 13 = 1 milliard
La Société Générale après compensation a une position créancière nette de 12 – 14 = - 2 milliards
C. Le multiplicateur de crédit
Dans
notre exemple relatif au prêt de Monsieur Vincenzo auprès du Crédit
Agricole, le crédit est accordé à Monsieur Vincenzo sans
qu'il ait effectué de dépôt préalable sur son compte
courant auprès du Crédit Agricole. Monsieur Vincenzo utilisera les
50 000 euros pour s'acheter un appartement, il versera donc cette somme sur le
compte du vendeur.
L’utilisation du crédit attribué à Monsieur Vincenzo va être à l’origine
d’un nouveau dépôt qui lui-même donnera naissance à un nouveau crédit. Ainsi contrairement
à ce que l'on croit ordinairement ce ne sont pas les dépôts
qui font les crédits (Monsieur Vincenzo a obtenu son prêt sans dépôt
préalable) mais les crédits qui font les dépôts. Les
crédits donnent lieu à des dépôts qui engendreront
de nouveaux crédits mais d'un montant moindre toutefois puisque la banque
commerciale va conserver une partie du dépôt sous forme de monnaie banque centrale
pour faire face aux besoins de ses clients et régler ses dettes vis à vis
des autres banques. Le rapport entre la monnaie scripturale
créée et la monnaie fiduciaire nécessaire à la couverture des fuite s'appelle
le multiplicateur de crédit.
Supposons
que les fuites en monnaie fiduciaire représentent en moyenne 20 % des crédits
octroyés (ce qui est vérifié empiriquement). Pour un prêt
de 50 000 donnant lieu à de nouveaux dépôts puis de
nouveaux crédits etc ... 20 % des sommes seront retirés des circuits
de financement pour faire face aux fuites, donc la somme de tous les crédits
accordés serait : Dans
la formule 50 000 x 5 = 250 000. Exercice : quelle est la quantité de monnaie bancaire créée dans les conditions suivantes ? - crédit initial 1 000 € coefficient de billets de 12 %- crédit initial 18 000 € coefficient de billets de 20% - crédit initial 29 000 € coefficients de billets de 35%
|
II. La gestion de la monnaie par les pouvoirs publics
A. Les politiques monétaires
La politique monétaire se donne pour objectif d'adapter le mieux possible l'offre de monnaie du système bancaire aux besoins des agents économiques en vue de réguler l'activité à court et moyen terme.
1. L'encadrement du crédit
L'encadrement du crédit est une façon très dirigiste pour la Banque centrale de contrôler la création de monnaie par les banques commerciales. Elle fut largement pratiquée en France à partir de 1963. Ce type de politique monétaire consistait à fixer aux banques une norme annuelle de progression des crédits octroyés. Elle était ouvent couplée à une politique industrielle consistant à faire varier les possibilités de crédits en fonction des secteurs d'activités demandant un financement. L'État français qui dirigeait de fait la Banque de France pouvait alors étrangler certains secteurs d'activités en limitant leur refinancement et en favoriser d'autres. En effet, l'absence d'ouverture des marchés internationaux des capitaux ne permettait pas alors aux entreprises de se financer ailleurs.
L'ère Mitterrandienne avec son cortège de nationalisations dans le secteur des banques a poussé encore plus loin cette pratique. L'État devenant propriétaire de la quasi totalité du secteur bancaire il pouvait de facto contrôler toutes les entreprises du pays par l'arme monétaire. Avec le retour au privé des banques et l'indépendance de la Banque de France, puis la création de la BCE, l'encadrement du crédit fut abandonné.
2. La politique de réescompte
On appelle taux d'escompte le taux d'intérêt que la banque centrale applique aux banques commerciales lorsqu'elle leur accorde un crédit. Comme nous l'avons vu, devant les fuites en monnaie banque centrale, les banques commerciales doivent s'adresser à la banque centrale pour satisfaire leurs besoins en billets. En général les banques obtiendront ces billets en réescomptant des effets de commerce, c'est-à-dire en cédant une partie de leurs créances commerciales à la banque centrale.
La
banque centrale pourra :
dans un contexte inflationniste, chercher à freiner l'expansion de monnaie en
élevant le taux d'escompte afin de renchérir le crédit (l'argent est cher) ;
dans un contexte de relance économique, faciliter le crédit en baissant le taux
de l'escompte (l'argent est bon marché).
3. L'intervention sur le marché monétaire
Les banques peuvent aussi se refinancer sur le marché interbancaire. Ce marché est un compartiment du marché monétaire c'est-à-dire un marché où s'échangent des capitaux à court terme (alors que le marché financier est celui sur lequel s'échangent des capitaux à long terme). Sur le marché interbancaire vont se confronter d'une part les offres de monnaie fiduciaire de la banque centrale mais aussi des banques commerciales qui présentent des excédents de trésorerie ; d'autre part les demandes de monnaie fiduciare des banques cherchant à se refinancer.
L'institut d'émission aura un impact décisif sur ce marché. Dans le cas où la Banque centrale souhaite augmenter la création monétaire des banques commerciales, elle achète des titres en utilisant de la monnaie banque centrale, ce qui améliore la liquidité bancaire ; inversement dans le cas où elle souhaite limiter cete création, elle vend des titres aux banques afin d'effectuer une ponction sur leurs réserves de monnaie centrale et par là même réduire la liquidité des banques.
B. Les agrégats monétaires
La masse monétaire se constitue de l'ensemble de la monnaie en circulation, elle prend des formes très différentes et se classe en trois agrégats en fonction de leur plus ou moins important degré de liquidité. La liquidité étant la capacité à éteindre immédiatement une dette. Parmi ces différents agrégats M3 en est la composante surveillée par les autorités monétaires, elle englobe l'ensemble de la masse monétaire de la zone euro.
Les agrégats de la masse monétaire pour la zone euro ont été définis au premier janvier 1999, ce sont :
M1= monnaie fiduciaire et dépôts à vue en euros (liquidité forte)
;
M2 = M1 + les dépôts à terme d'une durée inférieure
ou égale à deux ans + les dépôts remboursables avec
un prévis inférieur ou égal à trois mois (par exemple
les livrets A, les comptes d'épargne-logement, les comptes à terme)
;
M3 = M2 + pensions + titres de créance d'une durée supérieure ou égale à deux ans (les obligations par exemple) + les titres d'OPCVM monétaires et les instruments du marché monétaire (ces titres peuvent être revendus rapidement mais ils peuvent perdre de leur valeur ou en gagner).
À noter OPCVM : Organismes proposant aux épargnants d’acheter des parts de leur capital qui est placé par des professionnels sur les marchés ; le rendement des valeurs ainsi détenues alimente la rémunération des parts de l’O.P.C.V.M. que l’on peut revendre sur un marché secondaire. Les sociétés d’investissement à capital variable (Sicav) et les fonds communs de placement (F.C.P.) valorisent leur capital en actions, obligations, bons du Trésor, titres de créances négociables du marché monétaire...
L'agrégat
M3 et ses principales contreparties pour la zone €uro
( en milliards
d'€ )
Monnaie |
Contreparties |
Billets et monnaies
:
347,5
| Créances
sur l'économie :
8802,9 dont : Créances nettes sur les non-résidents : 257,1 à déduire : |
C. Le système européen de banques centrales (SEBC)
La Banque Centrale Européenne a été prévue par le Traité de Maastricht du 7 février 1992), elle est créée et a établi son siège à Francfort le 1er janvier 1998. Mais elle fonctionne véritablement qu'à partir du 1er janvier 1999, elle se voit alors responsable de la monnaie monétaire des 12 pays de l'euro. Les 12 banques centales de ces pays ne disparaissent pas pour autant, elles constituent avec la BCE le système européen de banques centrales (SEBC).
1. Les organes du SEBC
Le SEBC se constitue de trois organes :
Le Directoire est l'organe exécutif, il applique la politique monétaire
décidée par le Conseil des Gouverneurs. Composé de 6 personnes
désignés pour 8 ans avec un mandat non renouvelable, il est dirigé
par le président et le vice-président de la BCE, ses quatre autres
membres sont désignés par les gouvernements des 12 pays de l'euro.
Le Conseil des Gouverneurs
est chargé de définir la politique monétaire européenne,
il définit les marges de progression de l'agrégat M3 et les taux
directeurs (taux d'intérêt que paieront les banques commerciales
pour se procurer de la monnaie fiduciaire). Il se compose des membres du Directoire
et des gouverneurs des 12 banques centrales (soient 18 membres), lesquels disposent
chacun d'une voix pour décider de la politique à suivre.
Le Conseil Général possède surtout des fonctions consultatives. Il regroupe le président et le vice-président de la BCE ainsi que les gouverneurs de l'ensemble des 27 pays de l'Union européenne, qu'ils participent ou non à l'Union monétaire.
2. Les principes de fonctionnement du SEBC
Le système européen de banque central est supposé échapper au contrôle des autorités politiques des États membres de l'Union monétaire. Cette indépendance est un gage de crédibilité, et effectivement la BCE ne s'est pas gênée pour sanctionner le gouvernement français dont la dérive du budget fait courir un risque inflationniste à tous les pays de l'euro (effectivement comme nous l'avons vu le financement du déficit budgétaire est une source importante de création monétaire donc d'inflation).
Cette indépendance garantie une politique monétaire dédiée à la stabilité des prix donc une résistance au pression des États souhaitant augmenter les dépenses publiques. Pour cela le BCE agit principalement par son taux directeur.
Mais
le SEBC c'est aussi une autorité de tutelle sur les banques commerciales
leur imposant un contrôle prudentiel avec notamment le ratio Cooke. Gérant
l'émission de l'euro le SEBC conduit aussi la politique de change en détenant
les réserves de change des États membres.