Ricardo, échange international et croissance
Éléments de Biographie
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Né le 18 avril 1772 à Londres, Angleterre, David Ricardo est le troisième des dix-sept enfants d'une famille bourgeoise aisée de financiers juifs sépharades (d'origine portugaise) qui émigrèrent des Pays-Bas vers l'Angleterre juste avant sa naissance. À l'âge de quatorze ans, David Ricardo rejoint son père à la Bourse de Londres, où il commence à apprendre le fonctionnement de la finance.
Ricardo commence à s'intéresser à l'économie après la lecture de Recherche sur
la nature et les causes de la richesse des nations d'Adam Smith en 1799, il deviendra
ensuite agent de change, gentleman farmer et économiste. Considéré comme un des
fondateurs de l'école classique anglaise d'économie politique, avec Adam Smith
et Thomas Malthus, il est l'auteur notamment de Essai sur le haut prix des lingots
(1811), Essai sur l'influence des bas prix du blé sur les profits du capital (1815),
Des principes de l'économie politique et de l'impôt (1817). Son travail d'agent de change le rend suffisamment riche pour prendre sa retraite à l'âge de 42 ans. En 1819, Ricardo achète un siège au parlement britannique comme pair représentant de Portarlington, une pairie d'Irlande. Il conserve son poste jusqu'en 1823, l'année de sa mort. En tant que député, Ricardo défend le libre-échange et l'abrogation des Corn Laws. James Mill, un ami proche de Ricardo, l'encourage dans sa carrière politique et ses écrits économiques. Il entretient une importante correspondance avec Jeremy Bentham et Thomas Malthus, sur des sujets tels que le rôle des propriétaires terriens dans la société. Il fréquente aussi les milieux intellectuels londoniens, et devient membre du Club d'économie politique de Malthus. |
I. La nécessité du libre-échange
A. Les prophéties de Ricardo
Ricardo est un pessimiste, constatant la rareté des ressources naturelles,
il croit que le développement économique devait s'arrêter
au dix-neuvième siècle face à la pénurie desdites
ressources. Malthusien, il prend là des thèmes dont on entend beaucoup
parler aujourd'hui chez les théoriciens du développement durable
et les écologistes catastrophistes.
Pour en arriver à cette conclusion il utilise son arsenal théorique :
la théorie de la valeur travail selon laquelle la valeur d'un bien est fonction du travail nécessaire à sa production ;
la vision d'une société scindée en trois groupes d'acteurs économiques que sont les salariés bénéficiaires d'un revenu de subsistance (conformément à la théorie de la valeur travail, idée reprise par Marx : le salarié comme marchandise coûtant ce qui lui est nécessaire pour se maintenir en vie lui et sa famille), les industriels bénéficiaires des profits et les propriétaires fonciers bénéficiaires d'une rente qui ne cesse de croître.
Ceci posé Ricardo en déduit
que les salariés et les industriels sont condamnés à péricliter
au bénéfice des propriétaires fonciers. Effectivement la
population augmentant plus vite que les ressources naturelles et les terres disponibles
pour la culture, le prix des biens de subsistance et de la terre qui les porte
deviennent plus onéreux, ce qui fait l'affaire des propriétaires
fonciers mais ne permet pas aux salaires d'assurer une élévations
du niveau de vie. Face à des denrées plus chères il faudra
donc rémunérer davantage les salariés pour assurer leur subsistance
tout en diminuant les profits déjà amputés par la pression
de la concurrence.
Ricardo va jusqu'à préciser, par l'utilisation du calcul à
la marge, ce que vont gagner les propriétaires fonciers. Sa théorie
de la rente différentielle expose que la lutte contre la rareté
des produits agricoles va imposer la mise en culture de terres dont les coûts
de production sont de plus en plus élevés. On pourrait comparer
cela à la situation du pétrole dont l'augmentation des cours rend
rentable l'exploitation du pétrole off shore de la Mer du Nord en dépit
de coûts d'extraction prohibitifs. À mesure que ces nouvelles terres
moins fertiles sont cultivées, la valeur des terres fertiles augmente et
donc la rente perçue s'accroît représentant la différence
entre le coût de production sur le sol considéré et celui
de la terre la moins fertile. Il met ainsi en évidence l'enrichissement
automatique des propriétaires fonciers consécutive à la croissance
démographique.
B. L’opposition au protectionnisme
Ricardo entrevoit un moyen de limiter les gains des propriétaires fonciers au bénéfice des salariés et des industriels : le libre-échange en matière de produits agricoles. L'abolition des droits de douanes permettrait de baisser le prix des denrées et donc d'abaisser le niveau du salaire de subsistance ainsi que de restaurer les profits. Les propriétaires des terres les moins fertiles devraient cependant en abandonner la culture puisque les coûts de production en deviendraient supérieurs au prix de vente des produits agricoles.
Or les "Corn Laws" existant dans l'Empire britannique interdisent l'importation de blé afin de maintenir des prix élevés sur le marché. Cette loi sera combattue par un lobby de filateurs britanniques, l’Anti Corn Laws League, lesquels en obtiendront l'abrogation en 1846. En 1815 Ricardo soutiendra cette Ligue à travers son "Essai sur l'influence des bas prix du blé sur les profits du capital", il y explique que la cherté artificielle du blé augmente le salaire de subsistance et limite donc les profits aux seuls bénéfice des propriétaires terriens. On voit ici que le protectionnisme favorise toujours quelque catégorie de la population (ceux qui bénéficient de cette protection à travers une limitation de la concurrence) aux dépens du reste des membres de la société.
L'Anti Corn Laws League trouvera son équivalent en France :
L'Association pour la liberté des échanges, Bastiat, le 10 mai 1846
Au moment de s'unir pour la défense
d'une grande cause, les soussignés sentent le besoin d'exposer leur croyance;
de proclamer le but, la limite, les moyens et l'esprit de leur association. L'échange
est un droit naturel comme la propriété. Tout citoyen, qui a créé ou acquis un
produit, doit avoir l'option ou de l'appliquer immédiatement à son usage, ou de
le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange
l'objet de ses désirs. Le priver de cette faculté, quand il n'en fait aucun usage
contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, et uniquement pour satisfaire
la convenance d'un autre citoyen, c'est légitimer une spoliation, c'est blesser
la loi de la justice.
C'est encore violer les conditions de l'ordre ; car quel ordre peut exister au
sein d'une société où chaque industrie, aidée en cela par la loi et la force publique,
cherche ses succès dans l'oppression de toutes les autres ! C'est méconnaître
la pensée providentielle qui préside aux destinées humaines, manifestée par l'infinie
variété des climats, des saisons, des forces naturelles et des aptitudes, biens
que Dieu n'a si inégalement répartis entre les hommes que pour les unir, par l'échange,
dans les liens d'une universelle fraternité. C'est contrarier le développement
de la prospérité publique; puisque celui qui n'est pas libre d'échanger ne l'est
pas de choisir son travail, et se voit contraint de donner une fausse direction
à ses efforts, à ses facultés, à ses capitaux, et aux agents que la nature avait
mis à sa disposition. Enfin c'est compromettre la paix entre les peuples, car
c'est briser les relations qui les unissent et qui rendront les guerres impossibles,
à force de les rendre onéreuses.
L'Association a donc pour but la liberté des Échanges. Les soussignés ne contestent
pas à la société le droit d'établir, sur les marchandises qui passent la frontière,
des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu'elles soient déterminées
par la seule considération des besoins du Trésor. Mais sitôt que la taxe, perdant
son caractère fiscal, a pour but de repousser le produit étranger, au détriment
du fisc lui-même, afin d'exhausser artificiellement le prix du produit national
similaire et de rançonner ainsi la communauté au profit d'une classe, dès cet
instant la Protection ou plutôt la Spoliation se manifeste; et c'est là le principe
que l'Association aspire à ruiner dans les esprits et à effacer complètement de
nos lois, indépendamment de toute réciprocité et des systèmes qui prévalent ailleurs.
De ce que l'Association poursuit la destruction complète du régime protecteur,
il ne s'ensuit pas qu'elle demande qu'une telle réforme s'accomplisse en un jour
et sorte d'un seul scrutin. Même pour revenir du mal au bien et d'un état de choses
artificiel à une situation naturelle, des précautions peuvent être commandées
par la prudence. Ces détails d'exécution appartiennent aux pouvoirs de l'État;
la mission de l'Association est de propager, de populariser le principe. Quant
aux moyens qu'elle entend mettre en œuvre, jamais elle ne les cherchera ailleurs
que dans des voies constitutionnelles et légales. Enfin l'Association se place
en dehors de tous les partis politiques. Elle ne se met au service d'aucune industrie,
d'aucune classe, d'aucune portion du territoire. Elle embrasse la cause de l'éternelle
justice, de la paix, de l'union, de la libre communication, de la fraternité entre
tous les hommes; la cause de l'intérêt général, qui se confond, partout et sous
tous les aspects, avec celle du Public consommateur. Frédéric BASTIAT (1801-1850) En
quoi le protectionnisme lèse-t-il certains, qui sont ces lésés
et qui sont les "spoliateurs" ? Qu'est
ce qui rend le protectionnisme possible ? Un lien social est-il sous-entendu et comment se manifeste-t-il ? |
Pour fonder sa condamnation du protectionnisme Ricardo va développer une autre pièce maîtresse de son arsenal théorique : les avantages comparatifs.
II. De la théorie de l'avantage absolu à celle de l'avantage comparatif
A. Les théories du libre-échange
B. L'exemple pris par Ricardo
Nombre d'heures de travail comparé pour la production du drap et du vin en Angleterre et au Portugal
Angleterre | Portugal | |
Mètre de drap | 100 | 90 |
Litre de vin | 120 | 80 |
Sans échanger l'Angleterre peut produire une unité de chaque bien en 220 heures, le Portugal en 170 heures. Si les deux pays échangent, l'avantage comparatif du Portugal est plus élevé pour le vin et le désavantage comparatif de l'Angleterre est plus faible pour le drap. Le Portugal se spécialise dans le vin et l'Angleterre dans le drap.
Comment va se fixer le rapport d'échange international ?
Supposons un rapport d'échange favorable à l'Angleterre, puis au Portugal, que gagneront les partenaires dans les deux hypothèses avec l'exportation de 100 mètres de drap ?
La théorie des avantages comparatifs démontre bien que le commerce international profite aux échangistes, il n'est pas nécessaire de pousser plus loin pour prouver la validité du libre-échange. Cependant, les tenants du protectionnisme mettent en évidence quelques insuffisances qui n'invalident en rien les conclusions ricardiennes :
le modèle ne dit rien sur la manière dont seront répartis les gains à l'échange, effectivement il n'y a pas de prix international mais des termes de l'échange qui évoluent donc si chacun gagne à l'échange certains y gagnent plus que d'autres ;
Ricardo supposait que les avantages comparatifs étaient fixés en fonction de technologies dissemblables et de l'immobilité des capitaux. Alors que de nos jours 80% du commerce mondial s'effectue entre pays ayant des technologies similaires (Europe-États-Unis-Japon) et que les capitaux sont très mobiles.