I. La démocratie
Le mot démocratie est ici employé au sens précis de régime politique dans lequel la source primaire de légitimité est la volonté de la majorité.
A. Théorie libérale du Droit1. Ce qu'est le droit
Le Droit ne se définit pas, il se découvre. Il s'agit de découvrir ce qui est juste et non pas de le définir.
Le rôle d'un juge est de trouver, découvrir, déterminer si l'accusé est coupable ou innocent, pas de le décider. De même, le rôle de toute société doit être de découvrir le Droit, et non pas de le décider, de découvrir ce qui est juste, non de le décrêter. Le Droit n'a donc rien à voir avec les lois.
Pour que le concept de Droit ait un sens, il doit être universel : où est la justice si pour un même acte l'un est libre et l'autre va en prison, juste parce que 100 mètres et une frontière les séparent ? Une conception du droit basée sur la loi est donc dénuée de sens : un meurtre est ou juste ou injuste, point. Ce n'est pas l'avis d'un dictateur ou autre législateur auto-proclamé qui va y changer quoi que ce soit : ce n'est pas parce que tel dictateur décide que telle personne n'est pas autorisée à vivre que ladite personne doit être mise à mort. Le Droit est donc universel, il est le même pour tous. Chaque être humain a les mêmes droits, qui ne peuvent être que des droits négatifs.
2. Faux droits et vrais droits
Pour que le Droit ait du sens, il faut qu'il soit indépendant de son application ou non-application. Si nul n'a le droit de tuer un innocent, ce n'est pas parce qu'un criminel tue des innocents qu'il en a le droit, le Droit détermine uniquement si son acte est juste ou injuste. Et surtout, si personne ne viole le Droit, tant mieux pour tous, pour le Droit ça ne change rien.
C'est tout le contraire des faux droits, les « droit à ». Le « droit à l'alimentation » par exemple : si tout le monde décide d'en profiter, il disparaît, puisque tout le monde tend la main et plus personne ne produit de la nourriture. C'est donc un droit inapplicable s'il est appliqué, autrement dit, un droit qu'il faudrait, selon certains, reconnaître, tout en disant aux gens de ne pas trop l'utiliser ! Donc, pour que le Droit ait du sens, il faut qu'il soit indépendant des lois, indépendant de son application, non-contradictoire, universel.
Alors que ces faux droits sont positifs, les vrais droits sont négatifs, c'est-à-dire que ce sont des droits de ne pas subir certaines choses, comme par exemple être libre c'est ne pas subir la coercition des autres, alors que les droits positifs sont des droits à obtenir quelque chose.
L'injustice, ou l'injuste, consiste par suite à faire du tort à autrui. Donc la notion d'injustice est positive, et celle du juste, qui vient après, est négative, et s'applique seulement aux actes qu'on peut se permettre sans faire tort aux autres, sans leur faire injustice. [...] Déjà, on voit assez combien la notion de droit est négative, et celle de tort, qui lui fait pendant, positive, par l'explication que donne de cette notion Hugo Grotius, le père de la philosophie du droit, au début de son ouvrage : « [...] Le mot droit ici signifie simplement ce qui est juste, et a un sens plutôt négatif que positif : en sorte que le droit, c'est ce qui n'est pas injuste. » Une autre preuve du caractère négatif qui, malgré l'apparence, est celui de la justice, c'est cette définition triviale : « Donner à chacun ce qui lui appartient. » Si cela lui appartient, on n'a pas besoin de le lui donner ; le sens est donc : « Ne prendre à personne ce qui lui appartient. » — La justice ne commandant rien que de négatif, on peut l'imposer : tous en effet peuvent également pratiquer le « neminem lœde ». Arthur SCHOPENHAUER, Le Fondement de la morale, Première vertu : la justice (éditions poche p. 166-167) |
B. Le paradigme démocratique
Dans une démocratie, il y a des élections, et selon quel parti les gagnera, le gouvernement peut changer de façon importante. Néanmoins, tant que le parti gagnant respecte la Constitution, et accepte de céder le pouvoir s'il perd les élections suivantes, le régime politique, le méta-système, reste le même. Le paradigme de la légitimité majoritaire n'est pas bouleversé.
Fondamentalement, il y a trois façons de prendre une décision : l'autoritaire, la démocratique, la libérale. Prenons un exemple simple : Faut-il manger chez Flunch ou au McDo ? Si la décision est prise de façon autoritaire : Jacques Chirac mange au McDo ? Tous les Français mangeront donc au McDo. Si elle est prise de façon démocratique : La majorité du peuple Suisse décide, en votation, suite à une initative populaire de manger au Flunch ? Tous les Suisses mangeront donc chez Flunch. Si la décision est prise de façon libérale, chacun décide de manger ce qu'il veut. Etrangement, là-dessus, les gens, en général, ont choisi la manière libérale.
Autre
exemple, déjà plus contesté, la religion :
Le roi est catholique, donc tout le monde
est catholique et on brûle les protestants ;
La majorité est catholique, donc tout le monde est catholique et on brûle les
protestants ;
Chacun prie qui il veut.
Là, la manière libérale l'a emporté en Occident, mais il a fallu du temps. Pour le reste, il faut encore attendre le changement de paradigme. Le raisonnement est pourtant le même, et peut être appliqué aux sujets chauds récents : Faut-il subventionner telle ou telle industrie, Swissair, les paysans ? La réponse libérale : que ceux qui veulent la subventioner la subventionnent, point. Faut-il vivre en communauté ou seul ? Que ceux qui veulent vivre en communauté vivent en communauté, que ceux qui veulent vivre seuls vivent seuls. Faut-il accueuillir des réfugiés ? Que ceux qui veulent en accueuillir en accueuillent, etc.
Nous venons de voir qu'il y a une meilleure manière de prendre des décisions que la démocratie ; nous allons voir que cette manière est également plus juste.
C. L'injustice du processus démocratique
1. Démocatie ou rapport de forces ?
La démocratie c'est deux loups et un mouton qui votent afin de savoir ce qu'ils prenderont pour le dîner Benjamin FRANKLIN Deux hommes n'ont pas plus le droit d'exercer leur autorité sur un seul, qu'un seul n'a le droit d'exercer cette même autorité sur deux. Les droits naturels de l'homme lui sont propres et il a le droit de les défendre contre le monde entier car toute atteinte à ses droits naturels peut également être appelé crime, que cette atteinte soit le fait d'un seul homme ou de millions d'entre eux ; que cet homme s'appelle voleur ou que ces millions d'hommes s'appellent Etat. [...] Les majorités ne garantissent pas la justice. Elles se constituent d'hommes de même nature que celles des minorités. Elles partagent les mêmes passions pour la célébrité, le pouvoir et l'argent que les minorités ; mais elles sont certainement aussi voire plus rapaces, tyranniques et dénuées de principes car elles détiennent le pouvoir. Il n'y a pas plus de raison pour un homme de s'en remettre à la loi de la majorité plutôt qu'à celle de la minorité. Majorités et minorités ne devraient donc avoir aucune influence pour décider de ce qui est juste ou de ce qui ne l'est pas. Lysander SPOONER, No Treason |
Imaginons trois personnes dans une voiture.
Si deux d'entre elles se mettent d'accord pour tuer la troisième, sans raison
aucune, pensez-vous que cela soit juste ? Si vous répondez non, vous n'êtes
déjà pas un démocrate. À moins que... la démocratie devrait avoir un
nombre mimimum de personnes pour être valide ? Ou serait-ce que cette démocratie
ne serait pas valide parce que faisant partie d'une démocratie plus grande, le
pays où l'on se trouve ? Argument bizarre : comment savoir quelle
taille correcte, juste et légitime ce pays doit avoir ?
Imaginons un Suisse et un Français, les deux habitant près de la frontière. Le Suisse a le « droit » démocratique de se mêler de la vie des autres Suisses, le Français de celle des autres Français. Mais pourquoi le Français aurait-il plus le droit de se mêler de la vie des Français que de la vie du Suisse ? Parce qu'il fait partie de la « nation » française et l'autre non ? Et si les deux sont des immigrés ? Et si les deux sont moitié Français, moitié Suisses ? C'est donc purement un bout de papier qui détermine sur qui je peux imposer mes idées et qui peut m'imposer les siennes ? Rien d'autre ? Rien d'autre.
Revenons donc à l'exemple : en quoi l'espace territorial « Suisse » serait-il plus pertinent pour la démocratie que l'espace territorial « ma voiture » ? Logiquement, en rien. Il est donc ici clairement visible que la démocratie n'a pas sa source dans la raison ou le Droit, mais uniquement dans les rapports de force. En effet, la seule délimitation, c'est l'État. Le Français est rattaché à l'État français, le Suisse à l'État suisse, uniquement en fonction de l'endroit où ils sont nés ou du rattachement de leurs parents. Autrement dit : les deux sont comme des esclaves, car ce sont les esclaves qui naissent esclaves d'un maître A ou B uniquement parce que leurs parents « appartenaient » à A ou B. D'ailleurs, c'est bien d'esclavage qu'il s'agit.
2. Démocratie et légitimité
Mais l'État, c'est quoi ? L'État, par définition, est un ensemble de gens ayant le monopole de la violence, étant donc les plus forts sur un territoire donné, c'est à dire une mafia, à la différence près que ce monopole de la violence est dit « légitime » (dixit Max Weber), c'est-à-dire considéré comme légitime par une part importante de la population, contrairement à la mafia. Autrement dit l'État c'est le plus fort sur un territoire donné, qui donc exerce la loi du plus fort, et qui seul peut se permettre d'exercer la violence sans avoir à en subir les conséquences. Si la légitimité de la démocratie devait se baser sur l'État, ce serait donc tout simplement la légitimité de la loi du plus fort, les frontières des démocraties étant dues aux rapports de force, sans aucune explication logique, légitime ou cohérente.
Reste donc la légitimité de la quantité. Mettons de côté l'Etat, et revenons à nos trois automobilistes. Mettons les sur une île, en dehors donc de la territorialité des Etats établis. Donc, si deux d'entre eux votent à une majorité, comfortable d'ailleurs, l'exécution du troisième, est-ce juste, légitime ? Qui oserait le soutenir ? Pourtant, c'est bien de la démocratie. Et si trois c'est trop peu, combien faut-il être ? 100 ? 200 ? Un million ? Un milliard ? Là-encore, la démocratie n'a pas de réponse.
Il n'y a donc aucune différence de légitimité entre nos trois personnes et n'importe quel État, autre que le mythe de la légitimité de l'État, considéré comme tombé du ciel par magie et qui rendrait légitime ce qui ne l'est pas.
Nous voyons bien que personne, in fine, ne considère la démocratie comme juste per se. En général, les gens pensent plutôt que c'est la "moins pire des solutions" et la majorité écrasante de leurs décisions sont prises de manière libérale, et non de manière démocratique. Les gens agissent libéralement tours les jours, lorsqu'ils vont chez le coiffeur qu'eux choisissent, lorsqu'ils vont manger au resto que pourtant plein de gens détestent, lorsqu'ils se brossent les dents avec un dentifrice non-ratifié par la majorité, etc., et n'imposent leurs décisions aux autres que les quelques rares fois qu'ils vont voter.
A. Le pseudo-droit de vote
Comme nous l'avons vu, les droits doivent être universels et ne peuvent être que négatifs. Le « droit » de vote, en tant que « droit positif » n'est pas un droit, mais un pouvoir. Le pseudo-droit de vote n'est pas universel : il dépend d'une construction humaine dans le temps (l'apparition du bureau de vote, de lois) et dans l'espace (le vote est lié à un endroit précis sur terre). Les vrais droits, eux, sont universels spatialement et temporellement : je n'ai pas plus le droit d'assassiner mes voisins aujourd'hui que demain, et je n'ai pas plus le droit de les assassiner en Italie qu'en Suisse.
Il faut préciser qu'il est parfaitement concevable d'employer le mot droit dans un sens sans rapport avec le Droit, par exemple dans le cadre d'un « droit de vote » dans une assemblée d'actionnaires. La différence est que, dans le cadre d'une assemblée d'actionnaire, il est bien clair que ce droit de vote ne prétend pas avoir de rapport avec le Droit : l'assemblée d'actionnaires de prétend pas édicter de règle normative et impérative sur qui est juste ou injuste.
B. Le vote ne crée pas de la justice
Si une bande de criminels vient chez vous et organise un vote pour savoir si il faut brûler ou non votre maison, ou une élection pour choisir lequel des criminels en décidera, allez vous participer au vote ? Allez vous considérer le processus comme légitime ? C'est pourtant exactement de cela qu'il s'agit en démocratie : une clique de politiciens prétend vous imposer ce que vous pouvez faire chez vous, avec votre propriété, et tout ceci soi-disant en toute légitimité, puisque vous pouvez participer à la procédure de prise de décision !
Si l'on considère le vote comme une procédure de délégation du pouvoir (Si l'on considère le vote comme une procédure d'agrégation des choix individuels en choix collectifs, voir M. Mithra, Le théorème d'Arrow, ou la démocratie contre la raison ), il faut bien voir que vous ne pouvez pas déléguer des droits que vous n'avez pas :
Le peuple ne peut pas déléguer au gouvernement le pouvoir de commettre des actes qui serait illégaux si ils était commis par le peuple lui-même. (John Locke, Traité du gouvernement civil)
Or, vous n'avez pas le droit d'assassiner, de voler, ou de réduire votre voisin en esclavage.
Si l'on considère le vote comme une procédure de création de lois, il faut bien voir que le vote ne peut pas, par magie, créer des droits qui n'existaient pas auparavant :
Aucun être humain, ni aucune assemblée n'ont le droit de légiférer et d'obliger les autres à obéir à leurs lois. Dire le contraire impliquerait le droit pour eux d'être les maîtres et les propriétaires de ceux dont ils requièrent l'obéissance (Lysander Spooner).
Bien sûr, le vote est encore plus profondément injuste si en plus les criminels qui viennent brûler votre maison vous forcent, vous obligent sous la menace de la violence à voter. Cette triste pratique, aussi absurde qu'elle puisse paraître — après tout, même les criminels n'y gagnent strictement rien, et il faudrait être sacrèment dérangé pour croire qu'une obligation, un acte accompli sous la menace, puisse avoir une quelconque validité juridique, sans même parler de légitimité — existe pourtant bel et bien, en Belgique par exemple pEuisque la participation électorale y est obligatoire sous peine d'amende.
C. La perversité du vote
1. L'illégitimité du vote
Imaginons un autre scénario : les criminels organisent un vote ou ils vous laissent le choix entre brûler votre maison et brûler toutes les autres maisons du quartier. Que faites-vous ? Est-ce que vous participez au vote, vous rendant d'une certaine manière complice de leurs crimes ? Ou est-ce que vous riez au nez des criminels s'ils ne sont pas armés et vous défendez contre eux s'ils le sont ? Si vous acceptez la procédure, n'est-ce pas reconnaître que vous accepterez son résultat ? N'est-ce pas reconnaître que vous la considérez comme légitime ?
Quelles responsabilités découlent du vote ?
Si je vote pour A, donc si je contribue à son élection et qu'une fois élu, celui-ci commette certains crimes, n'en suis-je pas en partie responsable ? Après tout, peut-être que si j'avais voté pour B, B aurait gagné et n'aurait pas commis ces crimes. Ou peut-être qu'il en aurait commis de pires. Si l'on admet que j'ai une influence sur le résultat du vote, dans les deux cas j'encouragerai un criminel en puissance plutôt qu'un autre, et je pourrai ensuite d'une part difficilement me plaindre de ce qu'il me fera subir, puisque je l'aurai choisi, et d'autre part aurai une part de responsabilité sur ce qu'il fera subir aux autres, qui eux n'auront même pas voté pour lui. |
2. L'irrationalité du vote
Est-il rationnel d'aller voter ? Le vote le plus irrationnel, c'est probablement le vote blanc, que nous analyserons donc en premier.
Pourquoi voter blanc ? Vous faites l'effort du déplacement, alors que votre vote ne sera pas pris en compte, et donc sera parfaitement inutile.
Le vote blanc est l'attitude des « républicains citoyens » qui veulent dire qu'ils sont actifs et démocrates, qu'ils acceptent la politique, mais que le choix proposé hic et nunc ne leur plaît pas. Or, le problème n'est pas qui sera calife, mais le fait même qu'il y ait un calife !
Le vote blanc est donc profondément contradictoire : il exprime une acception de la démocratie, tout en en voyant l'échec : la démocratie est incapable de me donner de bons candidats, pourtant je la soutiens quand même. Or, les candidats proposés ne sont pas là par hasard, mais sont le résultat structurel de la démocratie, ces gens sont là parce qu'ils veulent le pouvoir, ils auront donc les caractéristiques de gens avides de pouvoir. La
probabilité suivant laquelle les hommes exerçant le pouvoir seraient des individus n'appréciant pas particulièrement la possession et l'exercice du pouvoir est du même niveau que la probabilité pour une personne sensible et compatissante de devenir régisseur dans une plantation d'esclave. (citation du professeur Frank H. Knight dans le Journal of Political Economy, décembre 1938, p.869, cité par F. A. Hayek, La Route de la Servitude, chapitre 10. Tout le chapitre, intitulé « Pourquoi les pires sont au pouvoir », traite de cette problématique. Hayek applique le raisonnement à une société totalitaire, mais il est également parfaitement valable pour la démocratie. Le processus démocratique sélectionnera les candidats les plus démagogues, ceux qui savent le mieux mentir, ceux qui promettent le plus. De même, une fois qu'ils seront élus, le système démocratique encouragera la corruption, le népotisme et l'irresponsabilité. Pour des cas pratiques, voir par exemple Impasse Sud : Jouer à la démocratie)
Historiquement la sélection du prince se faisait par le hasard de sa naissance et sa seule qualification pour exercer le pouvoir était son éducation du futur prince et de préservateur de la dynastie et de ses fiefs. Ceci n'assurait pas évidemment que le prince ne devienne ni mauvais ni dangereux. Pourtant il faut bien savoir que tout prince qui aurait échoué dans son devoir de préservation de la dynastie - qui aurait ruiné le pays, causé des troubles dans la population ou des révoltes, ou encore qui aurait mis en danger la pérennité dynastique - se serait trouvé face au risque d'être neutralisé ou assassiné par sa propre famille. Cependant, dans tous les cas, même si sa naissance et son éducation ne le prédisposaient pas à devenir mauvais et dangereux, elle ne pouvait pas nécessairement écarter la possibilité qu'il fût un dilettante inoffensif ou même une personne bonne et morale. Par contraste, la sélection des dirigeants des gouvernements par le processus électoral tendent à rendre virtuellement impossible l'élection d'une personnalité bonne ou inoffensive. Les premiers ministres et les présidents sont sélectionnés en fonction de leur capacité à se révéler des démogogues dénués d'une grande conscience morale. Ainsi la démocratie donne l'opportunité d'accéder au pouvoir aux hommes de la plus faible moralité et les sélectionne en fonction d'un tel critère tout au long d'une compétition politique pour laquelle leurs mauvaises dispositions morales sont leur principal atout.
Hans Hermann HOPPE, Democracy—The God That Failed, chapitre III, p.88-89.
Nous admettrons donc que si vous allez voter, c'est bien pour mettre un nom ou un choix sur le bulletin magique.
Il n'y a que deux possibilites : le résultat peut être serré ou non serré. Si le résultat est non serré, ma voix n'aura aucune influence sur le résultat. Si le résultat est serré, il est probable qu'il y aura un recomptage, ou qu'une cour de justice décidera, comme en Floride. Le seul cas où votre vote aura une influence réelle, c'est si, après recomptages, le scrutin est à une voix près. Ceci demeure fort peu probable. Donc, la chance que votre voix ait une influence sur le résultat est proche de zéro, du moins pour les élections nationales, importantes. En fait, il est sans doute statistiquement plus probable de vous prendre une brique sur la tête en allant voter que d'avoir une influence sur le résultat. Il s'ensuit donc que pour qu'il soit rationnel d'aller voter, il faudrait que le coût soit proche de zéro aussi. Admettons donc le cas d'un vote par correspondance qui ne prend que 5 secondes pour mettre une croix dans une case. Mais si je vote au hasard, c'est comme si je ne votais pas du tout. Pour que le vote ait un sens, il faut que je vote en connaissance de cause pour faire un choix rationnel. Or, l'information a aussi un coût.
3. Le coût de l'information électorale
Quel est le coût de l'information ? Il faudrait, d'une part, lire les programmes de tous les partis. D'autre part, suivre en détail les votes des élus au parlement, pour savoir si ils suivent le programme de leur parti ou non. Et là encore, aucune certitude, même un politicien qui tient ses promesses peut cesser de les tenir à tout moment. Donc, le coût est totalement démésuré par rapport au résultat potentiel, lequel, une fois pondéré par la probabilité qu'il existe réellement, est très faible. L'attitude rationnelle est donc l'ignorance. Prenons un exemple.
Imaginons que vous êtes consommateur de cannabis. Il est rationnel pour vous de voter pour un parti qui légalisera le cannabis, et irrationnel de voter pour un parti qui vous mettra en prison. Toutefois, le simple fait de vous renseigner pour savoir quel parti est pro et quel parti anti-cannabis vous coûtera du temps, alors que vous aurez légèrement plus de probabilité de faire le bon choix, et une probabilité toujours aussi quasi-nulle pour que ce choix serve à quelque chose. L'attitude rationelle consiste donc à ne pas vous renseigner, et à plutôt utiliser ce temps pour arroser vos plantes, ou éventuellement réfléchir à comment se prémunir contre les risques accrus en cas de victoire du parti anti-cannabis.
Bien entendu, ceci est un cas assez simple, ne tenant compte que d'une seule de vos préférences. Si on considère deux préférences, la situation devient déjà ingérable. Imaginons qu'en plus vous êtes propriétaire d'armes à feu, tireur. Il est rationnel de voter pour un parti qui vous laissera avoir vos armes et irrationnel de voter pour un parti qui vous les confisquera. Mais si un parti A est pro-armes et anti-cannabis et un parti B est anti-armes et pro-cannabis ? Le coût de l'information s'en trouve encore amplifié, il faudra que vous teniez compte du plus grand nombre de critères possibles pour voir quel est le parti qui a le plus de points positifs, voir si le parti A est plus anti-cannabis que le parti B est anti-armes. Il faudra vous établir une échelle de valeurs, calculer le rapport risque/bénéfices, etc. Et avec ça, le plus probable est que vous arriviez à la conclusion que vous êtes perdant dans tous les cas.
De plus, considérons qu'un parti A s'oppose à la liberté B et qu'un parti B s'oppose à la liberté A. Considérons également que le statu quo est plus ou moins favorable aux deux. Dans ce cas, si le parti A devait gagner trop largement, il pourra sans difficulté menacer sérieusement la liberté B, et vice-versa. Donc, le "moins pire" serait dans ce cas qu'il y ait plus ou moins égalité entre les deux partis, empêchant ainsi toute entrave supplémentaire à la liberté. Par exemple, certains libéraux américains estiment que le "moins pire", aux USA, est une « cohabitation » entre un président d'un parti et un parlement d'un autre parti, car cela empêche de nouvelles décisions liberticides. Donc, que voter dans un tel cas ? Là encore, il faudrait avoir des informations sur ce que les autres vont voter, informations que vous n'avez pas. Quant à faire confiance aux sondages, leur pourcentage d'erreur est de toute manière bien supérieur à l'influence que vous pourriez avoir.
Et nous n'avons vu ici que le cas de deux partis et de deux préférences, alors qu'en réalité il y a d'une part toujours plus de partis que cela ; et que, d'autre part, vos préférences qui peuvent être attaquées par le politique peuvent se compter en dizaines voire en centaines. Il est donc irrationnel de voter. Bien entendu, le contre-argument classique est que « si tout le monde se disait ça... ». Il faut donc rappeler que le fait que vous votiez ou pas n'aura pas la moindre influence sur quiconque, vu que le vote est secret. Il y a indépendance entre la probabilité que vous alliez voter et la probabilité que n'importe qui d'autre aille voter. Donc, il serait ridicule de s'imaginer avoir eu une influence sur d'autres (non)-votants en ne votant pas soi-même.
Par contre, là où il y a influence, et là cela se complique, c'est dans nos actes et nos paroles. Que je vote ou que je ne vote pas, vous n'en savez rien. Par contre, ce que je vous dis, si je vous dis que j'ai voté ou que je n'ai pas voté, cela peut vous influencer. Peut-être qu'en lisant cet article, vous aurez été convaincu de voter ou non. Là encore, mon influence reste minime. Mais imaginons quelqu'un de célèbre qui passe à la TV pour dire « votez pour A » ou « votez pour B ». Dans la mesure où il peut influencer des milliers de personnes, on peut supposer qu'il peut être rationnel pour lui de paser 5 minutes de son temps pour convaincre 100 000 personnes de voter pour un parti qui l'arrange. Toutefois, son acte de vote en lui-même reste tout aussi insignifiant que celui de n'importe qui d'autre. On sort donc ici de la question de l'attitude individuelle à avoir pour passer à celle de la stratégie d'un mouvement. S'il est possible d'arriver à convaincre les gens de voter pour le "moins pire" des partis, est-ce que cela vaut la peine d'être fait ?
A. Qui vote sur quoi ?
1. Un exemple parlant : le droit de vote des femmes
Dans le cadre démocratique, est-il mieux — "moins pire" — que tous votent, ou que certains votent ? Et, plus fondamental, dans un cadre démocratique, les termes « certains » et « tous » ont-ils un quelconque sens ? Étudions d'abord le cas du « droit » de vote des femmes :
Peut-on dire que Spooner et Goldman refusent le droit de vote aux femmes précisément parce qu'elles sont des femmes ?
Piste de réflexion : sans répondre à cette question, on peut établir un parallèle entre le droit de vote inégal et un impôt inégal, par exemple qui taxerait les riches et non les pauvres ou le contraire, la stratégie de liberation doit toujours aller vers moins de crime, plus de liberté (voir à ce sujet, Murray Rothbard, For A New Liberty, A Strategy for Liberty), et donc, si les pauvres sont taxés et non les riches, il faudrait se battre pour abolir l'impôt des pauvres, pas pour instituer un impôt pour les riches ! Dans le cas contraire, sous prétexte d'une mythique égalité ou d'un espoir irréaliste de voir baisser les impôts des uns si l'on taxe les autres, nous nous rendrions coupables de soutenir un crime, le vol en l'occurence, en voulant l'imposer à de nouvelles victimes. |
En effet, nous avons vu que le vote n'est pas un droit, mais un pouvoir illégitime. Or, pourquoi une égalité en pouvoirs illégitimes serait-elle forcément moins pire qu'une inégalité ? Y-a-t-il une quelconque raison pour que le crime soit égalitaire ? Non. Si une loi disait que seuls les blancs ont le « droit » de violer des femmes, et que des mouvements réclamaient le « droit de viol » aussi pour les noirs, faudrait-il les soutenir, au nom de l'égalité ? Non, il faudrait plutôt se battre pour que les blancs n'aient pas le « droit de viol » non plus.
Toutefois, cette analogie n'est valable qu'en partie. En effet, une légalisation du viol pour les noirs ferait logiquement augmenter le nombre total des viols, et donc serait forcément mauvaise. Par contre, dans le cas du « droit » de vote, le nombre de votants ne change rien au fait que c'est finalement une décision qui est prise. S'il n'y a donc aucune raison au niveau du Droit de soutenir l'extension du « droit » de vote aux femmes, ou aux étrangers (le même raisonnement s'applique), il n'y a pas de raison au niveau du Droit de s'y opposer non plus.
2. La sphère de décision
Nous appelons «sphère de décision » le groupe d'individus englobé dans une zone électorale, c'est-à-dire un ensemble d'électeurs qui votent sur un même sujet, ou participent à une même élection. Nous pourrions également parler de « zone de démocratie ». Cette « sphère de décision » devrait être la plus petite possible, ce qui veut dire que toute décision ne concernant qu'une personne ne doit etre prise que par cette personne, et toute décision concernant un groupe ne doit être prise que par ce groupe.
Encore une fois, en démontant le sophisme ad hoc sous-tendant le collectivisme on s'aperçoit qu'il n'y a aucune raison de considérer que leur collectivité est la bonne pour prendre la moindre décision particulière. Pourquoi pas une collectivité plus grande, plus petite ou différente ? Il n'y a évidemment pas d'État à l'échelle de l'univers entier, et cependant les humains arrivent à se coordonner principalement sans guerres et conflits. Des gens se livrent paisiblement au commerce et au tourisme internationaux sans besoin d'un État international commun pour les coordonner. Si le comportement politique a aucun rôle en la matière, c'est de causer les guerres et les conflits lors que le comportement économique amène paix et coopération. La solution correcte au problème de déterminer la forme et la taille des collectivités est la forme et la taille résultant de la libre adhésion des participants — et de telles collectivités n'ont aucun raison particulière d'être territoriales (bien que la proximité physique entre les gens doive bien jouer un rôle pour les aider à se coordonner, rôle qui va diminuant avec le développement des moyens de télécommunication).
Autrement dit, le libéralisme vise à réduire et décentraliser au maximum la sphère de décision pour qu'elle se limite si possible aux seuls concernés, et inclue le moins possible de non-concernés. On peut suivre en cela les prescriptions de Ludwig Von Mises dans Liberalism, chapitre III : " Peu importe que le droit d'auto-détermination dont nous parlons ne soit pas le droit d'auto-détermination des nations, mais plutôt le droit d'auto-détemination des habitants de tout territoire suffisamment important pour former une entité administrative indépendante. Si on pouvait aller jusqu'à accorder le droit d'auto-détermination à chaque individu alors on devrait le faire."
B. Tous votent sur tout
1. Conflit de compétence démocratique
Si le libéralisme décentralise au maximum la sphère de décision, la démocratie fait tout le contraire. Dès que le principe d'individualité des décisions est rompu, il n'y a plus de limite logique à la sphère de décision, pas même le principe de subsidiarité. Si l'on admet, ce que fait la démocratie, que pour la construction d'une maison, d'autres personnes que les propriétaires, les constructeurs et les riverains sont concernés, où s'arrête la sphère de gens concernés ? Dans une perspective nationaliste, poussée jusqu'au bout, toute décision concerne la nation, mais puisque la démocratie, par sa nature expansive, vise à dépasser le nationalisme (il est désormais souvent admis que le non-« droit » de vote des étrangers, donc la limitation de la démocratie aux seuls « citoyens » de la « nation », constitue une incohérence nationaliste dans la démocratie actuelle), une démocratie pure doit viser le suffrage « universel ».
Exemple récent. Moutinot, conseiller d'Etat socialiste chargé de l'amènagement du territoire de Genève, prend la décision de construire des « logements sociaux », dans une des zones résidentielles chic du canton, à Cologny. Le maire de Cologny s'y est opposé, ainsi que, en votation communale, 89,8% des habitants de la commune. La réponse de Moutinot se résume en gros à : « Rien à foutre. Moi je suis élu par les pauvres, et donc si je peux leur faire plaisir en leur promettant des HLM et en plus faire chier aux sales bourges qui habitent dans ce quartier, tant mieux ». On voit ici clairement l'opposition qu'il peut y avoir entre plusieurs niveaux de démocratie. Qui est plus concerné par ce qui se passe dans cette commune, ceux qui y habitent, où les électeurs de l'autre bout du canton ? Pourtant, structure interne centralisatrice de la démocratie oblige, c'est bien sûr plus souvent la démocratie d'au-dessus, donc celle qui est d'autant moins légitime qu'elle est plus large, qui aura le dessus. Le principe de subsidiarité tend à disparaître au profit d'une centralisation du pouvoir. |
2. Extension du droit de vote
Aucune théorie démocratique ne fournit de raison convaincante de considérer comme une amélioration tout élargissement du corps électoral. Nous parlons de suffrage universel des adultes, mais en fait des limitations sont édictées au vu de considérations d'opportunité. L'âge limite de 18 ans, et l'exclusion des criminels, des résidents étrangers, des citoyens non résidents, et des habitants de régions ou territoires spéciaux, sont généralement tenus pour raisonnables. Il ne semble nullement démontré que la représentation proportionnelle soit préférable parce que plus démocratique. On peut difficilement soutenir que l'égalité de droits implique nécessairement que tout adulte ait le droit de vote ; le principe vaudrait si la même règle impersonnelle était valable pour tous également. Si seules les personnes de plus de quarante ans, ou les titulaires de revenus, ou les chefs de famille, ou les personnes sachant lire et écrire avaient droit de vote, il n'y aurait guère plus d'atteinte au principe que dans le cadre des limitations actuellement admises. Des gens raisonnables peuvent soutenir que les idéaux de la démocratie seraient mieux servis si, disons, tous les fonctionnaires d'Etat, ou tous les bénéficiaires de l'aide publique étaient privés du droit de vote. Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental.
Nous devrions aussi rappeler que le droit de la majorité est habituellement reconnu à l'intérieur du pays seulement, et que ce qui se trouve être un seul pays politiquement parlant n'est pas toujours une unité naturelle ni évidente. Nous ne considérons incontestablement pas qu'il soit légitime que les citoyens d'un grand pays dominent ceux d'un petit pays voisin, sous prétexte qu'ils sont plus nombreux que ces derniers. Il n'y a pas davantage de raison pour que la majorité des gens qui se sont assemblés pour un certain objectif, que ce soit une nation ou quelque organisation supra-nationale, ait le droit d'étendre son autorité à sa guise. La théorie courante de la démocratie souffre du fait qu'on l'élabore d'ordinaire en vue d'une communauté homogène idéale, et qu'on l'applique ensuite à ces unités, ô combien imparfaites et souvent artificielles, que constituent les États existants (Friedrich A. Hayek, Constitution de la Liberté édition LITEC, 1993, pp 102-104).
3. Extension des sphères de décisions et de pouvoirs
Ce processus d'extension du suffrage est d'une part une conséquence logique du principe démocratique (la majorité décide), par opposition au principe libéral (chacun décide pour soi), d'autre part parfaitement visible historiquement : d'abord résérvé aux riches, puis étendu progressivement aux pauvres, abaissement de la limite d'âge, autrefois 21-25 ans, désormais 18, certains proposant 16, extension aux femmes, et désormais, en Europe, aux étrangers (aux étrangers venant d'un autre pays de l'UE au sein de l'UE, ainsi qu'aux étrangers extra-européens en Norvège, au Danemark, en Suède, en Irlande, aux Pays-Bas, et récemment en Belgique, avec en général une condition de quelques années de résidence, ce qui n'a pas de justification démocratique non plus, il est donc logique de supposer que la tendance de la démocratie sera de réduire ce nombre d'années ; d'ailleurs certains proposent déjà de donner le « droit » de vote même aux immigrés « illégaux », donc dès leur arrivée dans le pays, mais toujours à la condition qu'ils habitent le territoire national, ce qui, là encore, n'est en rien une condition logique ou cohérente, mais une condition liée au concept nationaliste, et non démocratique, de frontière nationale).
Après tout, les Français de l'étranger, donc ne résidant pas sur le territoire national, ont bien le « droit » de vote. Donc, si les Français de France, les étrangers de France, et les Français de l'étranger ont le « droit » de vote, pourquoi donc les étrangers de l'étranger ne devraient-ils pas, logiquement, l'avoir aussi ?
Dans le processus d'extension du droit de vote, il n'y a que deux points qui sont cohérents : personne n'a le droit de vote sur rien, et tout le monde l'a sur tout. Le premier s'appelle le libéralisme. Le second est impossible.
En effet, on parle également d'extension de la démocratie lorsqu'il est permis au « peuple » de se prononcer sur plus de sujets, et de réduction de la démocratie lorsqu'il peut se prononcer sur moins de sujets. La Suisse est considérée comme un pays très démocratique, puisque la sphère de pouvoir des décisions démocratiques est très large, les Suisses pouvant voter sur tout et n'importe quoi.
Donc, la démocratie, tend naturellement à étendre, d'une part la sphère de décision (de plus en plus de personnes pouvant prendre les décisions) et d'autre part la sphère de pouvoir (de plus en plus de décisions étant soumises au processus démocratique, au « contrôle démocratique » plutôt qu'au marché). Il s'ensuit que la démocratie, si elle veut être logique et cohérente, doit inclure toute la planète dans l'électorat, et doit inclure tout le monde, et toute décision sur toute la planète dans son potentiel d'action, car il n'y a pas d'autre limite cohérente et inhérente à la démocratie. Il est donc logique que les démocrates veulent un État mondial, une démocratie mondiale :
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4. Le paradoxe de la démocratie illimitée
Le processus d'extension du « droit » de vote peut être expliqué par le processus démocratique : un groupe politique a tout intérêt à promettre le « droit » de vote à de nouvelles classes de la population pour s'attirer ensuite leur vote. A priori, on peut logiquement s'attendre à ce qu'une femme ait plus tendance à voter pour un parti grâce auquel elle a obtenu le « droit » de vote plutôt que pour un parti qui y était opposé. Les divers partis socialistes, en particulier, ont adopté et pratiquent toujours cette stratégie. Il y a bien un parallèle historique entre l'extension du « droit » de vote et la montée des votes PS (iIl faut toutefois relever que cet effet n'est pas forcément durable, et qu'au bout d'un certain temps les électeurs cessent d'être « reconnaissants » envers ceux qui leur ont permis de voter), et aujourd'hui le PS tente de s'attirer les votes des étrangers en faisant campagne pour leur accorder le « droit » de vote.47
Si l'inclusion des six milliards et quelque habitants de la planète dans un même électorat ne pose pas de problème technique particulier, il en est autrement de l'inclusion de toutes les décisions dans le processus de décision démocratique : chacun des six milliards d'individus prend quotidiennement un nombre de décisions tendant vers l'infini. Si les décisions de chaque individu devaient être soumises à tous les autres individus, tous les habitants passeraient leurs journées à voter, et ce ne serait toujours pas suffisant (ou, s'il s'agit d'une démocratie représentative, les députés n'auraient jamais le temps non plus de tout traiter). Autrement dit, la démocratie pure est impossible.
Les régimes démocratiques que nous souffrons actuellement ne sont pas des démocraties pures, car limitées par le nationalisme d'une part (zone de démocratie limitée par l'État-nation, et électorat limité aux nationaux ou résidants), et la zone d'influence est limitée par un certain libéralisme (comme nous l'avons vu, dans des domaines tels que le choix du restaurant ou le choix de la religion, c'est le principe libéral qui l'emporte).
C. Suffrage « universel » contre suffrage censitaire
Nous avons vu les problèmes, l'injustice et l'absurdité du suffrage « universel », c'est à dire un homme une voix. Mais qu'en est-il du suffrage censitaire, c'est à dire une forme de la démocratie où seuls ceux s'acquittant d'un certain impôt peuvent participer aux votes, ou encore, dans un sens plus étendu, une forme de la démocratie où chacun aurait non pas une voix, mais un nombre variable de voix dépendant de son revenu et/ou de sa fortune ?
L'argument pour est que si il y a un vote sur la construction d'un pont, ce sont les riches qui vont le payer de leurs impôts, pas les SDFs. Donc, il est plus légitime que ce soient les riches qui se prononcent sur la question, et non les SDFs. Donc, pour les questions financières, le suffrage censitaire est effectivement plus juste, ou plutôt moins injuste, que le suffrage « universel ». Remarquons toutefois qu'en poussant la logique un peu plus loin, on arrive au libéralisme : et si tout simplement les riches qui veulent le pont le payent et pas les autres ?
Par contre, le suffrage censitaire est tout aussi injuste que le suffrage « universel » pour tout le reste : un riche n'a pas plus le droit qu'un pauvre de faire voler ou faire mettre en prison son voisin innocent.
Certaines formes de démocratie sont-elles "moins pires" que d'autres, d'autres systèmes politiques pas libéraux non plus sont-ils moins pires, et que faut-il faire au niveau individuel, ou au niveau d'un mouvement non-démocrate qui cherche à faire progresser ses idées, ses droits ou sa liberté ?
A. Démocratie contre république constitutionnelle
Il peut y avoir des Constitutions qui se contentent simplement d'énoncer le principe de la loi des plus nombreux, ainsi comme lénonçait Thucydide, historien grec du Vème siècle avant JC : Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité, mais du plus grand nombre.
D'autres, telle des États-Unis, peuvent prétendre au contraire limiter l'arbitraire du pouvoir de l'État et de la majorité en garantissant les droits individuels. Le problème, c'est que la Constitution ne tombe pas du ciel, il faut bien que quelqu'un l'écrive et l'approuve. Donc, dans une démocratie, comment faire pour que la Constitution soit en dehors du processus démocratique ? La définition même d'une Constitution au sens formel implique une procédure de révision plus lourde puisque la simple volonté de la majorité du parlement ou du peuple ne suffit pas. Il faut donc parfois une double majorité (peuple et États composant une fédération), une majorité qualifiée, ou l'approbation d'une autorité spéciale élue séparément du parlement. Mais dans tous les cas, il faut bien que quelqu'un ait décidé que cette procédure soit ainsi, il faut bien que quelqu'un élise le Conseil Constitutionnel, et c'est bien de majorité, fédérale ou qualifiée, qu'il s'agit également. Bref : ces limites au pouvoir démocratique sont issues de ce même pouvoir démocratique, et donc ne sont pas universelles et absolues.
De plus, qu'est-ce qui nous garantit que l'État respectera sa Constitution ? La Constitution française prévoit par exemple que le but de toute association politique est la défense des droits naturels que sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ; elle prévoit aussi le contrôle des contributions publiques et le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Mais en réalité ces principes sont bafoués, l'Etat n'en a strictement rien à faire de la Constitution. Bref, une Constitution est comme un contrat que non seulement personne n'aurait signé, mais qu'en plus personne n'appliquerait, par lequel personne ne se sentirait effectivement lié.
B. Démocratie contre monarchie
Et si ces limites au pouvoir de la démocratie étaient garanties par une autorité non-élue, un roi par exemple ? Faut-il considérer le passage historique de la monarchie à la démocratie comme un progrès, ou au contraire comme une régression ? Avant tout, il faut souligner que si un politicien n'a pas la moindre légitimité pour diriger tous ceux qui n'ont pas explicitement accepté d'être dirigés par lui, cela vaut aussi pour le roi.
Nous avons vu que la monarchie a comme avantage que le prince n'est pas choisi par le processus démocratique qui encourage les démagogues corrompus à arriver au pouvoir. Toutefois, cela implique aussi que le roi n'a de ce fait pas à se préoccuper d'être réelu ou non, peut-il donc faire ce qu'il veut sans rien assumer ?
Pas tout à fait. Le roi est personnellement responsable de ses dettes, il est considéré comme le propriétaire de l'espace public, alors que le politicien démocrate, simple intendant, n'est pas considéré comme propriétaire du gouvernement, et n'est donc pas responsable de ses actes. Si le roi contracte des dettes, c'est ses héritiers qui risquent de devoir les rembourser, s'il abîme ses terres et appauvrit le pays, c'est ses enfants qui se retrouveront directement plus pauvres. Le roi est donc incité à prévoir sur le long terme. Le politicien, lui, ne peut pas prévoir sur le long terme, justement parce que son avenir est incertain. Il doit donc distribuer les privilèges maintenant, et en donner le plus possible, et amasser de l'argent maintenant, détourner l'argent public, favoriser ses amis, etc. En somme, si vous êtes l'esclave d'un gouvernement, il vaut mieux un maître qui vous considère comme sa propriété et va donc vous exploiter sur le long terme, en ne vous exploitant donc pas trop pour vous garder en vie et assurer ses bénéfices sur le long terme, qu'une série de maîtres qui ne sont chacun maître que pour quelques jours ou quelques années et donc vont vous exploiter au maximum pendant qu'ils sont au pouvoir sans se soucier de votre santé et de l'avenir.
Par ailleurs, dans une monarchie, il y a une claire distinction entre deux classes, la famille royale et leurs amis, et les autres. Les guerres, par exemple, sont donc considérées comme une affaire privée du roi, les territoires qu'il conquiert deviennent sa propriété. Dans une démocratie, au contraire, il y a une identification entre les citoyens et la Nation. La conscription se répand, elle permet à l'État de disposer d'une armée bon marché, et donc de sacrifier plus facilement des troupes, les guerres deviennent donc des conflits de masse aux victimes bien plus nombreuses. Le pouvoir, les impôts, la dette publique sont perçus comme plus légitimes, et donc, tendent à s'accroître nettement plus. Chacun s'imagine pouvoir faire partie des dirigeants, l'administration et le nombre d'employés de l'État croissent massivement.
Faut-il pour autant prôner un retour à la monarchie ? Non, car d'une part, même si l'on admet que la monarchie peut être "moins pire" que la démocratie, elle ne saurait être un but en soi. D'autre part, le concept de monarchie a de nos jours de toute façon perdu toute légitimité supposée pour la plupart des gens, du moins en Occident, et donc, la mise en avant de la monarchie serait encore plus minoritaire que celle de, par exemple, l'anarcho-capitalisme, et ne présente donc aucun intérêt stratégique.
C. Abstentionnisme et autres stratégies
Faut-il voter ? Pour reprendre l'exemple que nous avons déjà vu : si la bande de criminels organisait un vote entre « brûler votre maison à moitié » et « brûler votre maison complètement », en admettant que vous puissiez avoir une influence sur le résultat, soit parce que vous n'êtes pas tout seul, soit parce que les criminels sont suffisamment peu nombreux, alors que feriez vous ?
Quelle est donc la bonne stratégie ? Si l'on pouvait convaincre tout le monde de ne pas aller voter, ce serait gagné. Si tout le monde n'allait pas voter, cela voudrait dire que les gens ont compris la supercherie démocratique et renoncé à la violence politique. Le vrai danger réside dans le fait que les gens qui risquent d'être sensibles à l'argumentation abstentionniste et non-démocrate sont les mêmes que ceux qui sont sensibles à l'argumentation libérale en général. Le risque est donc de voir les libéraux déserter les bureaux de vote, et voir une victoire des pires partis plutôt que des moins pires.
Il y a des cas où l'abstentionnisme devient stratégiquement de toute évidence tres intéressant. Par exemple, en Serbie, où il faut (fallait ?) une participation de 50 % pour qu'un vote soit reconnu. Ou encore, en Slovaquie et d'autres pays de l'Europe de l'est, où pour le référendum sur l'UE il fallait 50 % de participation pour que le vote soit reconnu...
D'autre part, si 55 % des gens n'allaient pas voter non pas par paresse, mais parce qu'ils sont contre la démocratie et pour la liberté, on aurait 55 % de gens prêts à aller manifester, faire la grève, se révolter etc. La démocratie survit avant tout parce que les gens y croient. Si 55 % des recrues de l'armée ne se présentaient pas, que ferait l'État ? Il ne peut pas mettre 55 % des jeunes hommes de 18-19 ans en prison... On pourrait imaginer une stratégie de type Gandhi , si 55 % des gens refusaient d'obéir aux lois non conformes au Droit... On peut aussi imaginer le refus de la sanction de la victime. Elle consiste, d'une part, à refuser toute caution aux actes des agresseurs de l'État, et d'autre part, à forcer les hommes de l'État à révéler leur vraie nature en ne leur offrant aucune aide dans leur agression, par exemple ne pas payer les impôts de plein gré, ne se faire arrêter ou mettre en prison que sous la menace directe, ne rien signer, etc. Efficacité stratégique ? Pas encore suffisamment testée. Bien entendu, serait très efficace si pratiquée à grande échelle. Bref : une fois qu'on a convaincu une part suffisamment importante des gens à la cause, qu'ils s'organisent en parti et aillent voter ou qu'ils s'organisent en mouvement et fassent de l'opposition, il se peut bien que les deux attitudes aient le même succès.
D. Que faire ?
En fin de compte, l'acte de vote lui-même n'est pas si important que cela, ce qui est plus important, c'est la perception que chacun en a, c'est les actes, les arguments, les idées. Si quelqu'un veut voter pour le moindre mal, il s'agit de voir quel est le parti qui fera le moins reculer la liberté, ou, dans de rares cas, qui la fera avancer. Il faut être conscient que ce n'est que pour une question de stratégie, il faut garder à l'esprit l'acte de vote pour ce qu'il est, et donc refuser la propagande étatiste vantant l'acte citoyen et républicain, la fierté d'aller voter et d'accomplir son devoir pour la nation. Peut-il y avoir de la fierté à aller voter et accomplir son devoir de mouton qui choisit qui va le tondre ?
Pour ces questions de stategie, il n'y a pas de vérité unique, puisque la perception de ce qu'est le moindre mal est relative et dépend des préférences de chacun. Puisque il n'est pas possible de faire de comparaison interpersonnelle des utilités, il n'y a de manière objective de dire, par exemple, en quoi voler un riche serait moins pire que mettre une amende à un fumeur de joints, ou vice versa, et donc de conclure de manière démontrable et objective quel est le moins pire parti, pour tous. Un parti X xénophobe mais promettant des baisses d'impôts sera peut-être le moins pire pour A, qui est riche et « citoyen national », mais ne le sera pas du tout pour B, qui est pauvre et étranger. Le choix de A n'est pas plus ni moins justifié que le choix de B. Donc, quitte à voter, il n'y a pas, a priori, de choix plus condamnable qu'un autre, en particulier par exemple dans le contexte français où tous les partis sont étatistes et socialistes. Sans oublier que l'action des politiciens reste in fine toujours imprévisible, et que donc l'information sur le moins pire parti ne sera jamais parfaite, entièrement fiable.
Turion LUGOL, le 21 septembre 2004