Les écoles de pensée en sociologie
A. L'objet de la sociologie
L'étude du fait social à laquelle se livre le sociologique ne doit pas être confondue avec l'étude du fait de société. Un fait de société ne devient fait social que si une corrélation peut être établie entre ce fait et son contexte et que l'on puisse expliquer cette corrélation. Par exemple : le nombre de décès par suite d'alcoolisme a augmenté cette année dans la Pas de Calais. Si les statistiques révèlent que le décès par alcoolisme est plus fort dans ce département qu'ailleurs et que ceci est explicable, c'est-à-dire qu'au-delà de la simple corrélation on trouve un lien de causalité, alors il ne s'agit plus d'un fait de société mais d'un fait social.
B. La tâche du sociologue
1. Selon Emile Durkheim
Pour
Emile Durkheim la tâche du sociologue est de détruire les préjugés en allant
au-delà du sens commun lequel s'appuie sur des prénotions qui ne sont pas scientifiquement
fondées
Un exemple de fait social est la délinquance, fait social car il s'agit bien d'un phénomène existant au niveau des sociétés et auquel chacun est confronté de façon directe ou indirecte. Mais pour Durkheim, le fait social, d'après sa définition, s'impose à l'individu comme la délinquance s'imposerait au délinquant pour des raisons que le sociologue cherche à expliquer. Traiter ce fait comme une chose suppose que l'outil statistique soit utilisé pour mettre en évidence les causes des faits sociaux, par exemple on montrera une corrélation entre des faits objectifs tels que l'origine sociale, le lieu de vie et la délinquance. A travers l'étude du fait social il s'agit de montrer que l'homme est déterminé par la société, le fait social s'impose à lui en fonction d'autres éléments sociaux qui le caractérisent (niveau d'étude, PCS des parents, structure familiale, etc ...) : « Les causes déterminantes d’un fait social doivent être cherchées parmi les faits sociaux et non pas être comprises dans la conscience individuelle ». Il faudra que le milieu social de l'individu étudié change pour le fait social qui le touche évolue, ainsi l'augmentation du niveau d'étude pourra abaisser le risque de délinquance alors que le divorce des parents l'augmenterait. Il n'y a pas de place ici pour les motivations psychologiques de l'individu.
En 1897, Durkheim va consacrer un ouvrage à un fait social : le suicide. Il détermine un milieu social qui favorise le suicide et dresse une typologie de celui qui est candidat au suicide à son époque : l'individu peu intégré dans son groupe mais non touché par des conditions de vie précaires « la famille protège et la misère protège ». Il en arrive à de telles conclusions par l'utilisation de statistiques concernant le suicide, il n'interroge pas les suicidaires ou leur famille car selon son point de vue la statistique seule peut mettre en évidence l'influence de la société sur l'individu, lequel se conforme à des règles sans même le savoir.
Capable de trouver dans le milieu social les causes des dysfonctionnements sociaux, Durkheim fait du sociologue un scientifique capable de comprendre les mécanismes de fonctionnement des sociétés et des humains et donc de modifier la société par des réformes sociales afin de la rendre conforme à ses voeux. Nous verrons qu'il s'agit là d'une vision holiste.
2. Selon Max Weber
Alors que Durkheim pense que l'individu est conditionné uniquement par son milieu et ne s'intéresse donc pas à ses motivations psychologiques, Weber établit que les faits sociaux découlent des actions des individus accomplis selon leurs valeurs. La sociologie de Weber, dite sociologie "compréhensive" consistera donc à comprendre les motivations qui poussent les individus à agir dans un sens plutôt que dans un autre.
Contre la méthodologie holiste de Durkheim, Weber développe donc l'individualisme méthodologique dans l'analyse des faits sociaux.
Nous avons déjà exploré la différence entre les approches holistes et individualiste à l'occasion du chapitre sur la structure sociale. Pour résumer nous avions dit que les défenseurs du holisme parlait de classes sociales considérant qu'elles existaient en elles-mêmes et que chacun était déterminé à agir et à posséder des intérêts en fonction de son appartenance à telle ou telle classe. L'approche individualisme privilégie au contraire l'existence de strates sociales rassemblant des individus en fonction de certains critères, mais la strate n'existe pas en dehors des individus qui la composent, on pourrait à la limite établir autant de strates différentes que de critères. Les élèves appartiennent à la strate des jeunes, à ceux qui aiment le classique ou le rock, à celle des cadres ou des ouvriers, ...
A. Le holisme méthodologique
Une société existe par la somme des individus qui la composent. Mais pour les sociologues holistes la société dépasse ses composantes ce qui signifie pour eux que le tout est plus que la somme de ses parties. Donc l'individu ne détermine pas la société, il est déterminé par la société, il est manipulé, conditionné par les structures de la société et ne possède pas de libre arbitre. Le délinquant ne pouvait pas devenir honnête, son milieu social le déterminait donc à devenir délinquant dirait un sociologue holiste. Les déterminismes sociaux qui agissent sur les individus sont énumérés, ce sont les groupes sociaux, les pratiques sociales et les représentations collectives, ainsi on ne pourrait comprendre un comportement individuel sans prendre en compte le groupe social, les croyances, coutumes, etc... de l'individu étudié.
B. L'individualisme méthodologique
Les sociologues faisant usage de l'individualisme méthodologique estiment que la société n'est pas plus que la somme des individus la composant et que les individus possèdent leur libre arbitre.
Il en découle deux conséquences :
un phénomène social résulte de l'action d'individus raisonnables, c'est-à-dire n'agissant pas par instinct, mais adoptant un comportement rationnel consistant à optimiser leur utilité (maximiser leurs plaisirs et minimiser leurs peine dirait l'utilitariste Jeremy Bentham).
les interactions entre les individus aboutissent à des effets qui ne sont pas délibérés, on parle d'un phénomène d'émergence que l'on peut décrire par le principe selon lequel des actions chaotiques résultent en un ordre supérieur. Par exemple le chaos de la recherche par chacun de son intérêt personnel dans un système de marchés permet de satisfaire les besoins de chacun.
Analyse des entités collectives à partir du principe de l'individualisme méthodologique
C. L'interactionnisme
1. Les dépendances réciproques
D'autres sociologues, tels que Norbert Elias, considèrent que les phénomènes sociaux résultent de l'interaction entre des individus à l'intérieur de jeux dont les règles sont fixées. L'individu possède alors bien son libre arbitre, mais ses actions sont influencées par celles des autres, on parle là de dépendances réciproques. La similitude de la vie sociale avec un jeu découle du fait que toute action engendre une réaction de la part d'autres individus, comme dans un jeu d'échec selon l'image employée par Norbert Elias.
2. L'interactionnisme symbolique
Goffman va plus loin dans les jeux d'interaction, il considère qu'un rituel social a été intériorisé dans les comportements individuels et l'illustre à partir des codes d'une interaction particulière : la conversation. Socialement chacun aurait donc appris un rôle, sait comment agir et réagir et reproduit donc inconsciemment ce rôle comme dans une pièce de théâtre.
3. L'habitus
Pour Pierre Bourdieu, la place de chacun dans la société conditionne un comportement type, chaque individu intériorise un habitus fait de sa situation de riche ou de pauvre en capital économique, culturel, relationnel. Il s'agit donc d'une vision d'individus déterminés par leur milieu social (holisme), mais Bourdieu accepte à la marge un certaine autonomie de l'individu qui peut donc évoluer.