La question des 35 heures        


Il n'existe pas un stock fini d'emplois à répartir au sein de la société
Aussi, dire qu'il n'y a pas de travail pour tout le monde, et donc que ceux qui travailleraient plus voleraient du travail aux autres est une bêtise. Un tel raisonnement consiste à déterminer le nombre d'heures de travail salarié en France et de diviser ce nombre d'heures par le total de la population active. Si le résultat est de 30 par exemple, il suffira de décréter les 30 heures de travail pour que le chômage disparaisse, mais bien sûr !
Sauf que devant le fait accompli, ces "salauds de patrons" en profiteraient pour essayer d'augmenter la productivité du travail (pour ne pas embaucher plus), feraient faillite face à la concurrence étrangère voire délocaliseraient, ou encore remplaceraient la main d'œuvre par des machines, quant aux vocations de créations d'entreprises elle se feraient sans recours au salariat. La vérité c'est bien qu'il n'existe pas un stock d'emploi déterminé et immuable dans une société, mais que ce nombre d'emploi varie en fonction des conditions économiques et juridiques du pays, lesquelles sont liées.           
                  

 

Xavier COLLET 

                                                                               

Voilà que les discours et, bientôt les mesures, se multiplient pour alléger la charge que représentent les 35 heures pour les P.M.E.

 

On s'est évidemment aperçu de l'impossibilité d'appliquer la loi AUBRY à des entreprises qui ont un très faible effectif.  Quand il y a trois personnes concernées par les 35 heures, il est absolument impossible de réduire leur travail de douze heures au total pour embaucher une personne supplémentaire : c'est trop peu.  D'ailleurs, où trouverait-on quelqu'un. qui veuille s'embaucher aujourd'hui dans certains corps de métiers où la pénurie de main d'oeuvre qualifiée se fait de plus en plus dramatique.  Or, dans une petite entreprise on doit pouvoir faire l'économie d'une formation et c'est un personnel compétent et expérimenté dont on a besoin.

Faute d'embaucher, que se passe-t-il ? On va faire des heures supplémentaires, mais on sera vite bloqué par les quotas prévus par la loi, au delà desquels les salariés ne peuvent plus percevoir une rémunération à des taux horaires majorés, puis au-delà desquels ils ne peuvent plus travailler du tout (se privant ainsi d'un appoint salarial parfois indispensable à l'équilibre du budget du ménage).  Comme le travail est toujours là, il reste soit à laisser tomber le client et à fermer les portes de l'entreprise dans un bref délai, soit à demander un effort de productivité aux trois personnes, qui vont désormais travailler plus pour un salaire identique, dans un nombre d'heures diminué. Il n'est pas dit que cela ne déclenche pas quelques tensions dans l'entreprise.

 

Mais, si l'on y réfléchir bien, quelles sont les failles de la loi AUBRY, et sont-elles spécifiques aux PME ? L'erreur du dispositif consiste à considérer le travail comme une donnée purement arithmétique, et le travailleur comme un pion que l'on peut déplacer sans problèmes sur l'échiquier de la production.  On a vu aussi qu'un travailleur ne peut se diviser, et qu'on ne peut embaucher le tiers d'un salarié.

 

Si tout cela est apparent pour les PME, ne peut-on observer la même chose dans des entreprises de plus grande taille ? Nous avons maintenant dépassé la période du gigantisme et de la massification industriels.  Beaucoup d'entreprises, non seulement dans le secteur des services, mais aussi dans l'industrie, sont en fait des agglomérations de petites unités, des fédérations de PME.  Toutes les méthodes actuelles de gestion des hommes, du matériel et de la clientèle, convergent vers cette atomisation de la production, qui donne souplesse, efficacité, qualité des relations et des produits.

Une grande entreprise, ou désignée comme telle, connaîtra donc tous les symptômes dont souffrent les PME : indivisibilité du travailleur, non substituabilité d'une personne à l'autre, inadaptation qualitative, course à la productivité artificielle, etc.  Les 35 heures y feront donc les mêmes dégâts.

C'est une méconnaissance de ces réalités qui a pu laisser penser qu'une grande entreprise aurait les ressources internes suffisantes pour gérer les 35 heures, grâce à son volant de main d'oeuvre, et à l'importance de ses coûts fixes.  Car, faut-il le répéter, c'est considérer l'entreprise comme un tout homogène à l'intérieur duquel la circulation est parfaitement fluide, la substituabilité totale et sans coût, etc.

 

La seule chose qui peut se passer est qu'une grande entreprise pourra cacher ses échecs nouveaux en se faisant subventionner directement ou indirectement par l'Etat.  Pas d'inquiétude pour les 35 heures à la SNCF ou à la Poste, ou ailleurs.  Les grandes compagnies privées, elles, n'ont pas ce recours : elles sont donc volontairement visées par la loi AUBRY.  Dans ces conditions il convient d'assurer aux grandes entreprises privées les mêmes compensations que celles qu'on envisage pour les PME.  Sinon, ce serait soumettre des citoyens à des lois différentes, et établir une discrimination condamnée par notre Constitution et par le droit européen.  Si on fait des exceptions pour les PME, il faut les faire aussi pour tout le monde. 

 

C'est un peu ce que dit Pierre Cahuc, dans la Revue française d'économie, il nous montre que les premières entreprises signataires de l'accord de RTT sont les plus dynamiques de chaque secteur. Prévoyant des besoins de recrutement, elles auraient accepté de passer un accord de façon à bénéficier de baisses de cotisations sociales relativement généreuses. Il s'agit donc là d'un effet d'aubaine. Les quelques créations auraient donc de toute façon eu lieu, mais quand l'Etat réduit les cotisations sociales ou verse une aide, il prend en charge une partie du surcoût. Il faut alors s'intéresser à ce qui serait advenu si, au lieu de subventionner la réduction de la durée du travail, le gouvernement avait baissé les cotisations sociales patronales.

 

Pour les retardataires qui se sont trouvés dans l'obligation de passer au 35 heures sans négociation d'accord, un maintien du salaire pour une durée réduite du travail revient à une augmentation du coût unitaire, donc à des effets défavorables sur l'emploi. Inévitablement, après des embauches initiales, l'emploi va tendre à diminuer, soit parce que l'entreprise perd des parts de marché, soit parce qu'elle va tenter d'économiser davantage de travail pour restaurer ses marges.

 

Jean Gilles MALLIARAKIS

 

1. Quel est l'objectif des 35 heures, comment cet objectif aurait-il dû être atteint ?

2. La réduction du temps de travail a-t-elle un impact sur le PIB ? Sur le niveau de vie ?

3. Peut-on réduire simultanément la durée du temps de travail et la productivité ? Quelles en seraient les conséquences ?

4. Sous quelles conditions les 35 heures créent-elles des emplois ?

5. Vouloir partager le travail existant signifie-t-il que les besoins de la population sont saturés ?

6. Comment la loi sur les 35 heures a-t-elle été modifiée ?