Travail des enfants


 

Les conditions sociales faites à certains travailleurs peuvent-elles justifier l’interdiction du commerce des biens et services produits dans ces conditions ? L’exemple souvent cité dans ce débat est celui du travail des enfants. Débat  dans le débat puisqu’à l’heure actuelle 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travaillent quelque part dans le monde. On ne peut pas rester indifférent à l’idée que des millions de ces jeunes êtres se font voler leur enfance, et dans bien des cas leur santé et leur bonheur. Mais est ce que ces enfants pourront bénéficier des mesures européennes contre le développement du commerce avec les pays où ils vivent ? Non, l’absurdité de cette proposition européenne saute aux yeux pour quiconque est conscient du fait que l’énorme majorité des enfants au travail est employée dans des secteurs qui ne sont aucunement liés aux exportations. 70 % de ces enfants sont employés dans l’agriculture. En réalité, seuls 5 % d’entre eux sont liés aux industries de l’exportation, soit 10 à 15 millions d’enfants, ils fabriquent ainsi par exemple des ballons de football, des tapis, sont affectés à la sous-traitance textile. Or, toutes les sources d’informations disponibles établissent que les enfants affectés aux industries exportatrices connaissent les conditions de travail les moins périlleuses. Les alternatives qui pourraient alors leur être proposées sont pires.

 

Le problème, encore une fois, vient de ce que nous jugeons le Tiers-Monde en fonction de critères liés au niveau de vie occidental. Il faut bien se rappeler que le travail des enfants était très courant en Suède il y a de cela quelques générations. Avant la révolution industrielle, il a fallu, en France, obliger les parents à envoyer leurs enfants à l’école car ceux-ci préféraient les faire travailler. Pareillement, les enfants des pays pauvres travaillent non pas parce que leurs parents sont indignes, mais parce que leur famille a besoin de leurs revenus pour survivre. Nous ne pouvons donc pas interdire le travail des enfants d’un coup de baguette magique, encore moins empêcher les pays concernés d’exporter chez nous, parce que si nous faisons cela alors les conditions matérielles dans ces pays vont se dégrader et les enfants seront réduits à des occupations pire encore comme la prostitution ou le crime. 

Ainsi, en 1992 on apprit que la chaîne de magasins américaine Wal-Mart importait des tissus fabriqués par de jeunes bengalis. Le Congrès des Etats-Unis a réagi en menaçant d’interdire les importations de pays qui se rendaient complice du travail des enfants. En conséquence de quoi, plusieurs milliers d’entre eux ont été renvoyés des manufactures textiles du Bengladesh. Un suivi des organisations internationales a montré que les enfants se sont trouvés un autre travail plus dangereux, moins bien payé, certains sont devenus prostitués. Un boycott similaire de l’industrie tapissière népalaise a conduit, selon l’UNICEF, à pousser plus de 5 000 petites filles à la prostitution.

L’ONG suédoise « Sauvons les enfants » est une des rares organisations qui a pris le parti d’instiller modération et bon sens dans la question du travail des enfants : « Dans la plupart des cas, Sauvons les enfants dit non aux boycotts, aux sanctions et à toutes autres mesures commerciales visant l’emploi des enfants. L’expérience nous a montré que les enfants congédiés à la suite de ces mesures risquent de se retrouver dans des situations plus préoccupantes et dans des emplois plus dangereux. »

La moitié des jeunes au travail sont occupés à mi-temps, beaucoup se paient ainsi leurs études. La perte de leur travail, à la suite des mesures de boycotts ou de protectionnisme, résulte bien souvent dans une dégradation de leur situation. Pour tenter d’apporter une réponse à ces problèmes, nous devons en considérer plusieurs aspects – la prostitution et l’esclavage des enfants, par exemple – ces maux doivent être combattus par tous les moyens possibles, alors que le travail des enfants dans ses autres aspects ne peut être limité que par l’amélioration de la situation économique et du niveau de vie. Sauvons les enfants abonde en ce sens : « Les affirmations générales faisant du travail enfantin une chose bonne ou mauvaise n’ont pas grand intérêt (…) Considérer tous les emplois comme également inacceptables est une simplification abusive d’un problème complexe, cela rend plus difficile la tâche qui consiste à concentrer nos forces contre les formes les plus immondes d’exploitation. » 

Le travail des enfants en Suède a été complètement éliminé, non pas par la prohibition mais par la croissance économique qui a permis aux parents de scolariser leur progéniture, ce qui correspond à un calcul de maximisation de leurs revenus sur le long terme. En outre, la mécanisation a rendu le travail manuel non élaboré moins profitable. Ce fut bien ce développement qui nous a permis de ne plus avoir recours à la main d’œuvre enfantine. La même recette fera disparaître le travail des enfants dans les pays pauvres. L’Organisation Internationale du Travail a relevé que le nombre de travailleurs âgé de 10 à 14 ans a décliné de manière substantielle dans une Asie en développement rapide. Ainsi, en Inde, la proportion d’enfants au travail a décru de 35 % il y a 50 ans, à 12 % aujourd’hui. Dans l’est et le sud-est asiatique, on s’attend à une disparition complète du travail enfantin d’ici à 2010.

Chacun doit pouvoir accéder à l’éducation, et cette éducation doit être un viatique vers une ascension sociale. Elle doit être capable de mener à de meilleurs emplois. À ce moment, les parents pourront considérer la formation comme un investissement familial qu’ils accepteront de consentir en n’envoyant pas leurs enfants travailler. Effectivement il n’est pas suffisant de rendre l’école accessible à tous, les écoles doivent aussi être de bonne qualité. Or dans de nombreux pays les écoles sont en dessous de tout et les élèves n’en retirent rien, ils sont même quelquefois confrontés à de graves situations de violence. Ceci est pour partie du aux écoles publiques dans lesquelles les enseignants sont pratiquement inamovibles. La solution réside donc en partie dans la liberté du choix, dans la possibilité offerte aux familles de prendre le contrôle des écoles, comme à travers le système de chèque éducation.

Les sanctions commerciales temporaires destinée à infléchir une situation peuvent toujours être discutée, elles peuvent être utilisées pour déstabiliser des dictateurs. Mais il faut dire aussi que dans de tels cas ce n’est pas seulement le régime qui sera puni car les sanctions vont pénaliser la population civile et dans quelques cas asseoir la position du dictateur sur son peuple. En général le commerce rend difficile le maintien d’un pouvoir centralisé car il permet de développer les relations internationales et installe d’autres centres de pouvoir en dehors du pouvoir des hommes de l’Etat. Si tous les pays prennent part aux sanctions contre une dictature, il est possible que certains effets bénéfiques en résultent. Ainsi des sanctions symboliques telles que le gel des relations diplomatiques, des boycotts d’événements sportifs, peuvent être particulièrement appropriées dans le sens où elles ne lèsent pas la population comme c’est le cas pour un boycott commercial.

La meilleure politique consiste à faire pression dans des domaines autres que commerciaux. Nos ONG et politiciens ne doivent pas cesser de critiquer les pays qui violent les droits de l’homme, pratiquent la censure, persécutent les dissidents ou interdisent la libre association. Notre volonté de donner aux peuples de ces différents pays  la chance d’accéder au développement par la liberté du commerce ne devra jamais être confondu avec une acceptation de leurs gouvernements. Les politiciens suédois s’entendent très bien avec les gouvernants dictatoriaux afin de faciliter les exportations des entreprises suédoises, une telle attitude marque en réalité dans l’intention leur légitimation de l’oppression. Quand les gouvernements sont anti-libéraux on ne devrait jamais taire leur oppression sur le peuple. « L’injustice quelque part est une menace contre la justice partout » disait Martin Luther King.

"Plaidoyer pour un capitalisme mondialisé", Johan NORDBERG.