La Sécurité Sociale, sa logique et ses implications

 

Imaginons que, suite à une maladie, le boulanger du village soit dans l'impossibilité de travailler pendant une semaine entière. Face à cette éventualité qui peut toucher tous les boulangers, ces derniers décident de créer une caisse à laquelle ils cotisent chaque semaine lorsqu'ils travaillent. En échange, la caisse versera le manque à gagner en cas de maladie d'un de ses cotisants. Cet accord se matérialise par un contrat d'assurance.

Ce n'est pas un " pacte social " ; c'est tout simplement un contrat d'assurance classique entre deux parties consentantes. Le principe fonctionne selon la loi des grands nombres : tous les boulangers ne tomberont pas malade au même moment alors qu'ils auront tous cotisé. Dans ce cas, la prise en charge du risque individuel est possible sur la base du capital accumulé par les cotisants. Dans cet exemple, il n'y a pas grand sens à faire semblant d'être malade car tant que vous n'êtes pas malade, votre capital accumulé augmente par le jeu des intérêts cumulés. Si vous trichez, vous volez votre propre argent, vous grignotez votre capital. Ce n'est pas un vol, c'est une bêtise ! Et c'est votre problème. Vous avez le droit de vous voler.

 

Ceci est très différent avec la sécurité sociale. Que vous soyez malade ou pas, votre cotisation est prélevée de force, à la source, sans votre consentement. C'est obligatoire et vous n'avez pas votre mot à dire sur l'augmentation des cotisations alors même que vous n'accumulez rien. Ceux qui trichent avec la sécurité sociale, en faisant semblant d'être malade ou d'être chômeur (alors qu'ils travaillent dans l'économie parallèle), sont loin d'être des idiots : ils ne se volent pas eux-mêmes mais profitent de l'argent de ceux qui sont enrôlés de force dans un pacte duquel ils ne peuvent se détacher. Ils cherchent à récupérer leur mise.

Si ce n'est pas un comportement idiot, c'est bien du vol. Du vol légalisé sous le doux nom de solidarité ! Mais comme c'est le système qui induit de tels comportements, ce n'est pas les individus qu'il faut punir mais le système qui doit être réformé.

 

Dans notre exemple de l'assurance du boulanger, on peut imaginer une multitude de caisses différentes mises en concurrence, selon les risques ouverts, selon les métiers concernés ou selon d'autres typologies.

Si le boulanger n'est pas satisfait de son contrat ou de la gestion de sa caisse, il doit pouvoir en changer.

Par contre, la sécurité sociale est un monopole. Dans ce contexte, le risque individuel se transforme en risque social à partir du moment où le principe de redistribution se substitue au principe de l'assurance.

 

Et pour pouvoir devenir un instrument de redistribution, la sécurité sociale devait s'imposer comme un monopole. Imaginez que vous payez 1 euro supplémentaire la baguette de pain de votre boulanger habituel. Il justifiera cette hausse par le fait qu'elle permet de financer des baguettes gratuites pour les familles modestes. Si vous n'êtes pas d'accord avec cette solidarité forcée, vous pouvez changer de boulanger, et si vous êtes d'accord ne changez rien. C'est votre choix. Notons que cela ne signifie pas que les gens ne sont pas spontanément solidaires, les manifestations de solidarité spontanée à la suite du tsunami en Asie auront bien montré le contraire. Mais les gens n'aiment pas qu'on les mette devant le fait accompli, en décrétant la générosité ou la solidarité.

Imaginez qu'une entreprise dise à ses clients : " vous allez payer plus cher vos produits pour que certains puissent l'avoir gratuitement ". Pourquoi pas ? Ceux qui se disent généreux resteront (il y en a beaucoup en parole) et les autres iront voir le concurrent (ce sont les plus nombreux en acte).

C'est précisément ce que font les entreprises publiques en situation de monopole. Et c'est ainsi que fonctionne la sécurité sociale depuis l'avènement de la CMU. Mais nous n'avons pas le choix.

 

Pourtant, la sécurité sociale se détourne de sa mission originelle qui est de faire de l'assurance non de faire de la redistribution : elle ne vous protège plus du risque, elle prélève ceux qui ont des revenus pour redistribuer à ceux qui n'en ont pas ou déclarent ne point en avoir. Ce faisant, elle est à l'origine d'un processus de déplacement des richesses aberrant qui produit un risque collectif dont elle était censé nous protéger. C'est l'histoire du pompier incendiaire.

 

La Sécurité Sociale comporte trois compartiments.

Le premier est constitué par le régime d'assurance-maladie, qui prend en charge la quasi-totalité des dépenses de santé (médicaments, consultation des médecins, frais d'hospitalisation).

Le deuxième est constitué par le régime vieillesse, qui est organisé sur la base d'un système de retraites par répartition dans lequel les actifs du moment paient pour les retraités du même moment.

Enfin, le troisième compartiment est représenté par le régime familial, qui organise une redistribution des célibataires ou personnes sans enfants vers les couples avec enfants.

 

Arrêtons-nous un moment sur le fameux système de retraites auquel on nous dit les français très attachés. Les salariés doivent donc avoir conscience que, même après 40 années de cotisations mensuelles régulières, ils n'auront rien accumulé à l'intérieur d'un tel système. S'ils ne prennent pas leur précaution, leurs propres dispositions en se constituant un patrimoine, ils seront totalement dépendants d'un système qui n'aura procédé à aucune accumulation de son côté.

Allonger le nombre d'annuités ne change rien au problème. Nous n'aurons acquis que des points. Mais ces fameux points auront la valeur monétaire que le ministre du moment pourra bien leur donner. Et il n'aura pas grand choix si les caisses sont vides.

Imaginons un instant que nous ne faisons plus d'enfants et que nous soyons la dernière génération. Nous aurons cotisé toute notre vie active pour financer les retraités du moment, c'est-à dire ceux qui étaient jeunes avant nous. Mais il n'y aura plus personne pour payer nos retraites lorsque nous serons vieux à notre tour. Dans ces conditions, les points accumulés ne valent rien. C'est comme si la Banque Centrale fabriquait des billets de banque alors qu'il n'y a plus d'entreprises sur le territoire. Dans ce cas, les billets ne valent rien, c'est du papier. La vraie richesse, c'est la quantité des biens et services qu'une économie est capable de produire. La vraie richesse vient du fonctionnement et du développement des entreprises.

Alors, les plus naïfs s'imaginent que l'immigration sera la solution du problème. Si les immigrés ont un emploi et cotisent, c'est vrai. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis où la plupart des immigrés trouvent un emploi. Car la plupart sont venus en Amérique pour y travailler, en y créant notamment leur entreprise, alors que c'était impossible dans leur pays d'origine. Mais la situation est bien différente en France. C'est bien plutôt la possibilité de bénéficier de droits sociaux sans aucun effort en contrepartie, et donc sans avoir nullement cotisé, qui constitue un attracteur sans pareil dans le monde aux yeux de millions d'individus qui vivent dans des conditions misérables chez eux. Aucun autre pays au monde n'offre cela !

 

La Sécurité Sociale est donc menacée de disparition par le fait qu'elle ne comporte en elle-même aucun mécanisme régulateur et qu'elle déclenche des comportements de " passager clan destin ". En théorie économique, on utilise l'image parlante du " passager clandestin " pour désigner le comportement de celui qui veut profiter d'un bien ou d'un service sans en assumer le prix.

Le passager clandestin ", c'est celui qui veut voyager gratuitement : mais si tout le monde se comporte comme cela, l'entreprise de transport met la clef sous la porte. Pourtant, la sécurité sociale tend à faire de nous tous des passagers clandestins en puissance. Il n'y a donc aucun frein aux dépenses : on constate les dépenses effectuées et on finance après coup. On consomme un maximum de médicaments et on cherche à partir à la retraite le plus tôt possible. C'est tout le contraire d'une bonne gestion. Pour un budget supérieur à celui de l'État français, c'est tout simplement irresponsable.

 

Lorsque les recettes de la sécurité sociale sont insuffisantes, on augmente les cotisations, on crée de nouveaux prélèvements appelés " prélèvements sociaux " (CSG, RDS) et on impose des déremboursements. C'est ce que tous les gouvernements ont fait depuis plus de 20 ans, depuis que Rocard a inventé la Contribution Sociale Généralisée lorsqu'il était premier ministre il y a bientôt 20 ans. Et M. Raffarin a augmenté la CSG... Les syndicats eux-mêmes, hostiles à toutes réformes, préfèrent défendre l'idée d'une augmentation des cotisations, d'une TVA sociale ou d'une taxation des marchés financiers.

En matière de santé, les déficits sont permanents. Le comble est que les dépenses se sont envolées depuis que le parlement a cherché à les " encadrer " avec le Plan Juppé qui constitue une véritable étatisation de la sécurité sociale. Dans ce nouveau cadre, le parlement se prononce sur des objectifs de dépenses (les fameux Objectifs Nationaux des Dépenses d'Assurance Maladie ou ONDAM) ; mais ces derniers sont systématiquement dépassés. Ce qui est en soi normal puisque les députés se prononcent sur une grandeur globale, les dépenses des français, mais ces derniers ne sont en rien liés dans leur comportement par une telle loi qui, de fait, est inutile. Pour tenter de résorber les déficits, on oscille tour à tour entre la hausse des cotisations - encore une fois - et la réduction des prestations. Et l'on combine les deux quand le problème s'aggrave. Cependant, la réduction des prestations suscite des conflits sociaux devant lesquels les politiques abdiquent le plus souvent. Tandis que la hausse des cotisations augmente considérablement le coût total du travail au point que le poids des charges est aujourd'hui la cause principale de la disparition des petites entreprises, de la délocalisation des grandes entreprises et du développement de l'économie parallèle. D'années en années, les marges de manoeuvre sont toujours plus réduites. Pourtant le discours syndical ne change pas : on ne touche à rien ! Il suffit de prendre l'argent là où il est ! Mais où est il ?

 

Le cercle devient infernal. Plus le bateau coule et plus il prend l'eau au point qu'il devient toujours plus difficile de ralentir le processus.

L'augmentation des charges réduit l'intérêt d'embaucher pour les entreprises, et l'intérêt d'aller travailler pour celui qui perçoit des aides sociales. Il y a donc de moins en moins d'actifs réellement en activité, et la France est de moins en moins attractive aux yeux des investisseurs résidents et étrangers. Ceux qui cotisent effectivement sont de moins en moins nombreux et ceux qui dépensent effectivement sont de plus en plus nombreux et dépensiers. Ainsi, les actifs nationaux doivent supporter le financement du chômage (cotisations chômage), des dépenses maladies (cotisations maladie), du budget de l'Etat (via les impôts et les taxes) et des retraites (cotisations vieillesses).

Or, les actifs représentent aujourd'hui en France moins de la moitié de la population française totale. Et parmi cette population active, il faut compter avec 10 % d'entre eux qui sont au chômage. Ils ne sont pas actifs au sens économique le plus strict mais au sens institutionnel. Comment voulez-vous demander à ces actifs, qui supportent déjà l'ensemble de ces fardeaux, de se constituer en plus une épargne pour faire tourner l'économie qui manque cruellement d'investissements ? Si encore la fiscalité de l'épargne était attractive en France ...Mais ce n'est pas le cas !

Alors, la France grignote lentement et sûrement son capital.

 

Rajoutons maintenant à ce tableau réjouissant les évolutions démographiques. Il y a de moins en moins de jeunes ; et ces derniers restent plus longtemps dans les études, lesquelles sont à la charge du contribuable. Par ailleurs, et c'est heureux, nous vivons plus longtemps mais nous réduisons l'âge de la retraite. On ne voit pas comment une génération d'actifs de plus en plus clairsemée en effectifs pourra supporter le poids de générations d'inactifs qui deviennent majoritaires.

Dans ce contexte fragile, l'ouverture des économies accélère les évolutions démographiques internes : les actifs découragés quittent le territoire tandis que les assistés du monde entier trouvent un refuge inespéré en France. On ne pourra pas distribuer sans aucune limite des droits sociaux à tout le monde sans aucune contrepartie tangible. Il ne s'agit pas de blâmer les bénéficiaires de droits sociaux d'où qu'ils viennent car il est bien rationnel d'accepter ce que l'on vous donne. Cela ne se refuse pas !

Là encore, ce ne sont pas les individus qui touchent les aides qui sont à blâmer, ils sont tout simplement très rationnels et on ne peut le leur reprocher. C'est le système qui conduit à de tels comportements qu'il faut modifier.

 

Les conditions de 1945 ont pourtant bien changé. On comptait à ce moment 15 cotisants pour un retraité, le montant des retraites était faible, le retraité ne touchait rien avant 65 ans, les gens faisaient des enfants et l'espérance de vie était précisément ...de 65 ans ! C'est d'ailleurs ce qui a décidé le ministre de l'époque à fixer l'âge de la retraite à 65 ans.

I1 faut voir les choses en face : ce système était basé sur le fait que la plupart de ceux qui avaient cotisé n'avait pas le temps d'en profiter. Le système de répartition, dont on nous dit qu'il est généreux, est fondé sur l'espérance de notre mort. De surcroît, à sa mort, le cotisant ne laisse rien à sa descendance puisqu'il n'a rien ccumulé. Un système de répartition ne fait pas fructifier à terme un capital acquis mais redistribue instantanément un revenu prélevé. Cette différence est fondamentale.

 

C'est toute la différence qui existe entre un système de répartition et un système de capitalisation. Même si vous n'avez pas le temps de profiter de votre capital acquis dans le cadre d'un système de capitalisation, vous transmettez quand même quelque chose à vos enfants avec votre disparition. Le fait de savoir que vos enfants démarrent dans la vie avec un capital est une incitation qui agit énormément sur les comportements d'épargne, notamment chez les personnes âgées. Et imaginez la situation des enfants de vos enfants dans un tel système... Vos années de labeur ne sont donc pas perdues ; elles ont un sens. Et quand vous donnez un sens à votre travail, vous donnez aussi un sens à votre vie. Voilà pourquoi le système de répartition est non seulement économiquement condamné mais aussi moralement condamnable. Voilà pourquoi encore la mobilité sociale est plus grande dans les pays où existent des systèmes de capitalisation. Pourtant, des rapports et des rapports ont été écrits, des conférences et des conférences ont été organisées. Nous sommes toujours en plein débat et rien de sérieux n'est entrepris. Rien n'y fait. Le diagnostic est connu mais personne n'ose prendre l'initiative. Le bateau coule mais le commandant maintient le cap. Pire : sous prétexte qu'il n'y a pas assez de canots de sauvetage, il interdit aux passagers de quitter le navire... par solidarité sans doute.

 

 

Jean-Louis CACCOMO, La Troisième Voie, impasse ou espérance, 2006

 

 

Questions

1. Distinguez la Sécurité Sociale d'une simple compagnie d'assurance.
2. En quoi peut-on dire que la Sécurité Sociale déresponsabilise les comportements des assurés ?
3. Expliquez la phrase en italique : "le risque individuel se transforme en risque social".
4. L'introduction de la CMU a-t-elle modifié les principes de fonctionnement de la Sécurité Sociale ? Expliquez.
5. Rappelez la différence entre la retraite par répartition et par capitalisation, de quoi dépend dans l'un et l'autre système le montant futur des retraites ?
6. Quelles sont les solutions avancées par ceux qui pensent possible le sauvetage de la retraite par répartition ? Que pensez-vous de ces solutions ?
7. Quelles sont les implications des difficultés de la Sécurité Sociale sur l'économie ?