Pourquoi travaille-t-on ?


 

Dans une perspective économique, le travail (tout comme l’argent qu’il permet de gagner) n’est pas une fin en soi, mais seulement un moyen de réaliser des objectifs. Selon que l’on a des objectifs plus ou moins ambitieux, on aura à consacrer plus ou moins de temps au travail.

Mais s’il fallait donner du travail aux gens sous l’unique prétexte de les occuper, on pourrait embaucher un groupe de personnes le matin pour creuser des trous, puis embaucher un autre groupe pour reboucher les trous. C’est ainsi que l’on occupait les forçats dans les bagnes.

Mais, donner du travail à tout prix, en négligeant sa dimension économique, cela a effectivement un prix : c’est le gaspillage, et notamment le gaspillage de la seule ressource qui soit absolument rare, notre temps. Or une organisation sociale qui contribue à dilapider le temps des gens prend le risque de s’appauvrir car la création de richesses provient d’un usage rationnel du temps.

 

Après tout, les stakhanovistes de l’URSS glorifiaient le travail parce que chacun travaillait pour le parti afin de dépasser les objectifs du plan.

Dans ce contexte, le travail était moins un instrument de création de richesses qu’un outil de contrôle social et un signe d’adhésion (ou de soumission) idéologique. D’ailleurs, le chômage était interdit dans l’ancienne U.R.S.S, tout chômeur étant considéré comme un ennemi potentiel du parti. J’ose à peine parler des camps de concentration nazis à l’entrée desquels était affichée l’inscription « Arbeit mach frei » (« le travail rend libre »).

Dans ces systèmes, tout comme l’esclave, mais au nom de la solidarité, du parti ou de renouveau national, on travaillait intégralement pour les autres dans une négation totale de ses propres désirs, de ses propres aspirations et de ses propres besoins. Or, un esclave n’apprécie pas le travail tout simplement parce qu’il ne possède pas les fruits de son propre travail. Et s’il ne récupère pas les fruits de son propre travail, c’est qu’il ne possède pas même sa propre personne.

 

C’est donc plutôt la propriété qu’il faut affirmer et garantir, notamment la propriété des fruits de son travail, et donc la dignité de la personne. Tel est le rôle du politique et de l’État de droit.

C’est aussi le sentiment d’utilité - et donc l’efficacité - qui est fondamentalement en cause. Propriété, utilité, efficacité et dignité sont intimement liées.

Si un ménage travaille pour gagner 100 mais qu’il ne perçoit que 40 au final, croyez-vous que sa motivation pour travailler reste intacte ?

Pareillement, imaginez un policier qui arrête un délinquant lequel est relâché le lendemain ou un professeur qui parle à une classe d’élèves qui ne l’écoutent jamais… Et que penser du travail quand le travail de toute une vie ne nous permettra pas de financer correctement notre retraite ou que l’on ne peut rien transmettre à ses propres enfants ?

Dans tous ces cas de figure, les individus développeront le sentiment de travailler pour rien (en termes de résultat comme en termes de revenus), sentiment qui s’exprimera par un rejet du travail. Pourtant, ce n’est pas le travail en lui-même qui est rejeté, mais le système de spoliation qui contribue à dévaloriser l’effort productif. Or, c’est précisément notre système de redistribution qui contribue à rétrécir toujours plus le revenu disponible des ménages, en collectivisant (en confisquant) les fruits du travail de chacun. Dans ces conditions, beaucoup font alors le choix rationnel de ne pas travailler du tout, de s’installer dans l’assistance ou de travailler hors du territoire national.

Comment expliquer d’ailleurs que certains étudiants en arrivent à croire qu’ils peuvent s’affranchir de toute réflexion sur leur insertion professionnelle au terme de quatre années d’études passées sur les bancs de la faculté ?

Mais les diplômes ont-ils au moins sanctionné un travail effectivement réalisé ou ne sont-ils qu'une attestation du temps passé à l'université ?

 

Les français sont comme tout le monde : ils aiment travailler si on ne leur confisque pas les fruits de leur travail, si on ne les transforme pas en esclave ! Pourtant, Dominique Strauss-Kahn avait écrit dans son rapport sur la fiscalité à instaurer en cas de victoire de Madame Royale : « Nous considérons que le risque est réel de voir les Français de plus en plus réticents face aux solutions collectives et de plus en plus attirés par un individualisme qui relève souvent du chacun pour soi ». Le « chacun pour soi » n’est pas nécessairement un repli sur soi pas plus que l’individualisme n’est pas un égoïsme. Car la plus grande solidarité, c’est déjà tenter de tout faire pour ne pas être à la charge des autres. Tel est le sens du travail. Mais si les décideurs ne savent pas faire autre chose que redistribuer la richesse créée par d’autres (avec une fabuleuse déperdition au passage puisque la mécanique redistributive a un coût) en faisant l’apologie d’un harcèlement fiscal et social proprement suicidaire en économie ouverte, alors mieux vaut faire le choix du temps libre et de la décroissance durable.

 

Jean-Louis Caccomo, le 14 décembre 2007

 

1. La logique de résorption du chômage à productivité zéro est-elle celle que favorise l'auteur ? Expliquez.

2. Recherchez les objectifs que se fixait la politique des Grands Travaux de Roosevelt, a-t-elle contribué à enrichir les États-Unis ?

3. Quelles sont les motivations de l'individu au travail.

4. Les structures économiques et sociales peuvent-elles agir sur ces motivations ? Expliquez comment.