La notion de pouvoir


I. Le pouvoir

    A. Les différents types de pouvoir

Quels pouvoirs exercez vous dans la société et qui ou quoi exerce du pouvoir sur vous ?

La guerre des boutons

 

Il était une fois deux villages voisins et rivaux dans un coin de la campagne française... De génération en génération les gamins de Longeverne et ceux de Velrans se livrent à coups de poings et à coups de frondes une guerre sans merci. Chaque prisonnier fait par l'un des deux camps se voit systématiquement dépouillé de ses boutons, de sa ceinture et de tout autre ustensile pouvant servir à soutenir ses vêtements. Lebrac, chef des Longevernes, après avoir envisagé de faire combattre ses troupes dans la tenue d'Adam, décide de lever un impôt, pour subvenir aux besoins des « guerriers», en boutons et élastiques... laissons le romancier Louis Pergaud nous raconter l'événement.

 

A la récréation, il n'eut point besoin de convoquer ses guerriers. Tous vinrent d'eux-mêmes immédiatement se placer en cercle autour de lui, dans leur coin, derrière les cabinets, tandis que les tout-petits, déjà complices, mais qui n'avaient pas voix délibérative, formaient en jouant un rempart protecteur devant eux.

- Voilà, exposa le chef. Il y en a déjà vingt-sept qui peuvent payer et j'ai pas pu envoyer de lettre à tous. Nous sommes quarante-cinq. Quels sont ceux à qui je n'ai pas écrit et qui ont aussi un sou à eux ? Levez la main!

Huit mains se dressèrent.

    - Ça fait vingt-sept et huit. Voyons, vingt-sept et huit... vingt-huit, vingt-neuf, trente.... fit-il en comptant sur ses doigts.

- Trente-cinq, va ! Coupa La Crique.

- Trente-cinq ! T'es bien sûr? Ça fait donc trente-cinq sous. Trente-cinq sous, c'est pas cent sous, en effet, mais c'est quelque chose. Eh bien, voici ce que je propose :

« On est en république, on est tous égaux, tous camarades, tous frères : Liberté, Egalité, Fraternité! on doit tous s'aider, hein, et faire en sorte que ça marche bien. Alors on va voter comme qui dirait l'impôt, oui, un impôt pour faire une bourse, une caisse, une cagnotte avec quoi on achètera notre trésor de guerre. Comme on est tous égaux, chacun paiera une cotisation égale et tous auront droit, en cas de malheur, à être recousus et «rarangés» pour ne pas être « zonzenés " en rentrant chez eux.

- Ça, c'est chouette! Mais des sous, on n'en a guère, tu sais, Lebrac ?

- Ah ! mais, sacré nom de Dieu ! est-ce que vous ne pouvez pas faire un petit sacrifice à la Patrie ? Seriez-vous des traîtres par hasard ? Je propose, moi, pour commencer et avoir tout de suite quelque chose, qu'on donne dès demain un sou par mois. Plus tard.., si on est plus riches et si on fait des prisonniers, on ne mettra plus qu'un sou tous les deux mois.

- Mince, mon vieux, comme tu y vas ! T'es donc «méllion­naire", toi ? Un sou par mois !  C'est des sommes ça! Jamais je pourrai trouver un sou à donner tous les mois.

- Si chacun ne peut pas se dévouer un tout petit peu, c'est pas la peine de faire la guerre ; vaut mieux avouer qu'on a de la purée de pommes de terre dans les veines et pas du sang rouge, du sang français (...). Je comprends pas qu'on hésite à donner ce qu'on a pour assurer la victoire; moi je donnerai même deux ronds... quand j'en aurai. 

- Alors c'est entendu, on va voter.

Par trente-cinq voix contre dix, la proposition de Lebrac fut adoptée. Votèrent contre, naturellement, les dix qui n'avaient pas en leur possession le sou exigible.

Guerreuillas, ainsi nommé parce qu'à côté du sien le regard de Guignard était d'un Adonis et que ses gros yeux ronds lui sortaient effroyablement de la tête, prit la parole au nom des sans-le-sou. C'était le fils de pauvres bougres de paysans qui peinaient du 1er  janvier à la Saint Sylvestre pour nouer les deux bouts et qui, naturellement, n'offraient pas souvent à leur rejeton de l'argent de poche pour ses menus plaisirs.

- Lebrac ! Dit-il, c'est pas bien ! Tu fais honte aux pauvres! T'as dit qu'on était tous égaux et sais bien que ça n'est pas vrai que moi, que Zozo, que Bati les autres, nous ne pourrons pas avoir un radis. J'sais bien que t'es gentil avec nous, que quand t'achètes des bonbons tu nous en donnes un de temps en temps et que tu nous laisses des fois lécher tes bouts de réglisse ; mais tu sais bien que si, par malheur, tu nous donnes un rond, le père et  la mère le prennent aussitôt pour acheter des fourbis dont on voit jamais la couleur. On te l'a déjà dit ce matin. Y a pas moyen qu'on paie. Alors on est des galeux ! C'est pas une république, ça, na! et je ne peux pas me soumettre à la décision.

 - Nous non plus, firent les neuf autres.

- J'ai dit qu'on arrangerait ça, tonna le général, et on l'arrangera, na ! Ou bien je ne suis plus Lebrac ni chef, ni rien, nom de Dieu ! Ecoutez-moi, tas d'andouilles, puisque vous ne savez pas vous débrouiller tout seuls. Nous avons besoin de sous ! Pour acheter du fourbi ; eh bien, quand vous trouverez un bouton, une agrafe, un cordon, un lastique, de la ficelle à rafler, foutez-les dedans votre poche et aboulez-les ici pour grossir le trésor de guerre. On estimera ce que cela vaut, en tenant compte que c'est du vieux et pas du neuf. Celui qui gardera le trésor tiendra un calepin sur lequel il marquera les recettes et les dépenses, mais ça serait bien mieux si chacun arrivait à donner son sou. Peut-être que, plus tard, on aurait des économies, une petite cagnotte quoi, et qu'on pourrait se payer une petite fête après une victoire.

- Ce serait épatant ça, approuva Tintin. Des pains d'épices, du chocolat...

- Des sardines !

- Trouvez d'abord les ronds, hein ! Répartit le général. Voyons, il faut être bien nouille, après tout ce que je viens de vous dire, pour ne pas arriver à dégoter un radis tous les mois.

- C'est vrai, approuva le chœur des possédants.

Les purotins, enflammés par les révélations de Lebrac, acquiescèrent cette fois à la proposition d'impôt et jurèrent que pour le mois prochain ils remueraient ciel et terre pour payer leur cotisation. Pour le mois courant, ils s'acquitteraient en nature et remettraient tout ce qu'ils pourraient accrocher entre les mains du trésorier.

Louis. PERGAUD, La guerre des boutons, Mercure de France, 1963

 

 

A travers cette scénette de "La guerre des boutons"

1. Identifier différents types de pouvoir en déterminant sur quoi ils reposent.

Pouvoir des grands sur les petits, les petits les admirent car ce sont des guerriers et ils les craignent car ils peuvent imposer leur force physique s'ils veulent se mêler des débats, ils sont exclus du processus de décision de la bande tout en appartenant à la bande. Pouvoir de Lebrac sur les autres enfants, ce n'est pas le plus intelligent (fautes de français, difficulté à compter) mais celui qui possède du sens pratique et du charisme. Pouvoir des parents sur les enfants, les plus pauvres prennent ce que les enfants veulent cacher, pouvoir traditionnel des aînés et des géniteurs sur leur progéniture qu'ils sont censés entretenir même si là tel n'est pas le cas, le pouvoir est lié ici à l'amour filial ou à la peur de l'usage de la force physique : "raclée si les enfants reviennent sans leurs boutons". Pouvoir des instituteurs, les enfants doivent se cacher dans la cours pour délibérer, le maître d'école, comme les parents, possède le pouvoir d'imposer la discipline par les sanctions, il est respecté aussi car il dispense le savoir. Pouvoir aussi de ceux qui peuvent contribuer à l'impôt par rapport à ceux qui ne le peuvent pas, les premiers apportent quelque chose à la bande de Lebrac, les autres doivent apporter des "cotisations" en nature, ce pouvoir est lié à l'argent, mais l'argent doit rémunérer l'utilité sociale.

Pouvoir du fort en gueule, celui qui prend le risque de se faire contrer ou de mal véhiculer ses idées, comme Gueurreillas, celui qui sait parler, ce pouvoir est aussi de l'ordre du charisme et du culot. Celui qui ose va s'imposer face à celui qui est timide et n'osera prendre la parole pour contrer une décision qui ne lui plaît pas.

2. A partir de là vous définirez ce qu'est le pouvoir.

3. Quel pouvoir est remis en cause ?

Pouvoir de la majorité sur la minorité, c'est le pouvoir démocratique qui impose sa décision aux minoritaires, ici Lebrac n'est pas remis en cause par les contestataires, seule la démocratie l'est. Le pouvoir de ceux qui contribuent n'est pas vraiment remis en cause, les plus pauvres ici se sentent un peu honteux "tu fais honte aux pauvres" de ne pouvoir contribuer autant que les autres, mais ce n'est pas leur faute c'est celle de leurs parents qui ne leur donnent pas ou leur prennent, remise en cause aussi du pouvoir filial.

    B. Définir le pouvoir

Le pouvoir est la capacité d'imposer une décision, de faire faire ou d'empêcher de faire (pouvoir de dissuasion Mutual assured destruction), selon Max Weber le pouvoir est la probabilité qu'un acteur soit en mesure d'imposer sa volonté dans le cadre d'une relation sociale, malgré les résistances éventuelles et quel que soit le fondement sur lequel repose cette éventualité, en conséquence il s'exerce avec ou sans le consentement de ceux qui devront obéir (par  la carotte ou bâton). Il implique donc domination : "chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé" (Max Weber).

Robert Dahl définit le pouvoir comme une influence : A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action que ce dernier n'aurait pas effectué autrement. Ici le pouvoir implique une relation, ce peut être aussi le résultat de la haine, de l'amour, de l'amitié, de la concurrence ...

 

II. Les bases du pouvoir

    A. Types et modes de domination

        1. Les idéaux types de domination

Le pouvoir peut aussi reposer sur l'information, celui qui la détient exerce un pouvoir car il peut la détourner afin de faire passer son intérêt pour l'intérêt de tous (propagande, ex : les produits de mes concurrents sont mauvais pour la santé -OGM -, il faut les interdire) ou l'utiliser à son profit (initié, je suis le premier à acheter un terrain que les autres croient inconstructibles, mais comme je sais que le maire va modifier le PLU pour rendre ce terrain constructible et que je suis l'un des seuls à le savoir, je vais l'acheter au prix d'un terrain inconstructible).... Pouvoir charismatique, loi du plus fort, respect filial, pouvoir des savants, pouvoir économique (ploutocratie ; pouvoir économique de l'employeur sur le salarié contre rémunération de son travail, corruption des politiques, du consommateur sur le marchand), pouvoir politique (démocratie ou loi du plus fort, intériorisation d'une idéologie pour obéissance à un parti représentant l'idéologie à laquelle on est fidèle, pouvoir religieux en tant que pouvoir politique - longtemps l'un devait aller avec l'autre sinon guerre civile catholiques-protestants).

Max Weber considère 3 idéaux-types de domination : 1) la domination rationnelle, il s'agit d'une domination impersonnelle, obéissance à des lois, exemple : les contribuables face au Trésor public, le respect du code de la route. 2) la domination traditionnelle, le détenteur du pouvoir a été désigné par la tradition (roi, sorcier, pater familia, ...). 3) la domination charismatique, implique soumission à ce qui est exemplaire, au chef en lequel on remet sa confiance. Max Weber accorde aussi beaucoup d'importance aux fondements économiques de la domination. Pour Marx, ceux-ci sont essentiels, mais il y ajoute la dimension de "l'idéologie": les idées dominantes sont les idées des classes dominantes.

 

               2. Les modes de domination

 

Galbraith en partant de la carotte et du bâton considère trois modes de domination :

    - le pouvoir dissuasif passant par la sanction si le dominé n'obéit pas, la sanction peut être réprobation, menace ou actes ;

    - le pouvoir rétributif impliquant la remise d'une récompense à celui qui se soumet, qu'il s'agisse d'une louange, d'un paiement ou nature ou d'une rétribution ;

    - le pouvoir persuasif, à la différence des deux autres il implique une obéissance non consciente, en effet ce pouvoir permet la modification de la façon de penser du dominé qui se soumettra sans s'en rendre compte, cette persuasion passe par l'éducation, l'adhésion sociale, par exemple accepter le vote majoritaire, se soumettre au politiquement correct.

 

    B. La construction de règles

 

        1. Du pouvoir de fait au pouvoir légal

 

Le détenteur du pouvoir construit des règles, Laubrac au sein de sa bande établit une hiérarchie et répartit des rôles (trésorier achète les boutons et recueille les fonds, estime la valeur des apports en nature, sous-chef le remplace s'il ne peut assurer ses fonctions de dirigeant), de telles règles existent dans toute organisation (règlement intérieur dans les associations, dans les entreprises, les administrations, ... mais aussi à l'école), constitutions et lois pour régir la vie sociale dans un pays. Au sein d'une société l'individu qui obéit à ces règles devient citoyen. Tout pouvoir de fait construisant ses règles devient pouvoir légal.

 

            2.  Un pouvoir légal et légitime

 

Mais les règles peuvent être contestées, Gueurreillas remet en cause le résultat du vote. Laubrac doit alors s'affirmer comme chef, il modifie la verdict démocratique pour que son pouvoir reste légitime. La légitimité est importante, on la distingue généralement de la légalité (ce que fait Laubrac est illégal au vue de la règle démocratique qu'il a instauré, mais c'est légitime). En effet, une situation est légitime lorsqu'elle est acceptée par ceux qui en subissent les conséquences. D'une manière générale, les sociologues prêtent une grande attention à la "légitimation", c'est-à-dire à l'ensemble des processus par lesquels les "dominants" parviennent à se faire reconnaître et accepter par les dominés. L'école et les media, lieux de socialisation permettent cette légitimation (plus un pouvoir est totalitaire plus il doit utiliser de moyens de légitimation et il s'agira alors de légitimation par un bourrage de crâne continuel, exemple des jeunesses hitlériennes et des komsomols soviétiques).

    C. Un pouvoir peut-il ne pas être légitime ?

             1. Légal et illégitime

Les trois idéaux-types de domination définis par Weber sont basés sur l'autorité, c'est-à-dire la capacité de se faire obéir sans recourir à la force physique (ce qui n'exclut pas d'autres types de forces comme la pression sociale avec le risque d'ostracisme). En fait l'autorité est une relation légitime de domination et de sujétion, un pouvoir n'est donc légitime que s'il a de l'autorité. Faute d'autorité il ne reposerait que sur la force.

Mais il se peut que le processus de légitimation n'atteigne pas ses objectifs auprès de tous les membres de la société, il y a alors dissidence, remise en cause du pouvoir exercé et éventuellement son renversement à moins que le pouvoir ne fasse usage de la force physique (ce qui est systématique sauf dans des sociétés où il est possible de s'exclure par démission par exemple dans une association).

S'exclure de l'Etat

Comme corollaire à la proposition que toutes les institutions doivent être subordonnées à la loi d'égale liberté, nous devons nécessairement admettre le droit du citoyen d'adopter volontairement la condition de hors-la-loi. Si tout homme a la liberté de faire tout ce qu'il veut, pourvu qu'il n'enfreigne pas la liberté égale de quelque autre homme, alors il est libre de rompre tout rapport avec l'État, de renoncer à sa protection et de refuser de payer pour son soutien. Il est évident qu'en agissant ainsi il n'empiète en aucune manière sur la liberté des autres, car son attitude est passive, et tant qu'elle reste telle il ne peut devenir un agresseur. Il est également évident qu'il ne peut être contraint de continuer à faire partie d'une communauté politique sans une violation de la loi morale, puisque la qualité de citoyen entraîne le paiement de taxes et que la saisie des biens d'un homme contre sa volonté est une infraction à ses droits. Le gouvernement étant simplement un agent employé en commun par un certain nombre d'individus pour leur assurer des avantages déterminés, la nature même du rapport implique qu'il appartient à chacun de dire s'il veut ou non employer un tel agent. Si l'un d'entre eux décide d'ignorer cette confédération de sûreté mutuelle, il n'y a rien à dire, excepté qu'il perd tout droit à ses bons offices et s'expose au danger de mauvais traitements, une chose qui lui est tout à fait loisible de faire s'il s'en accommode. Il ne peut être maintenu de force dans une combinaison politique sans une violation de la loi d'égale liberté ; il peut s'en retirer sans commettre aucune violation de ce genre ; et il a, par conséquent, de droit de se retirer ainsi.

«Nulle loi humaine n'est d'aucune validité si elle est contraire à la loi de la nature, et telles d'entre les lois humaines qui sont valides tirent toute leur force et toute leur autorité, médiatement et immédiatement, de cet original.» Ainsi écrit Blackstone (1), dont c'est l'honneur d'avoir à ce point dépassé les idées de son temps, et, vraiment, nous pouvons dire de notre temps. Un bon antidote, cela, contre ces superstitions politiques qui prévalent si largement. Un bon frein au sentiment d'adoration du pouvoir qui nous égare encore en nous conduisant à exagérer les prérogatives des gouvernements constitutionnels, comme jadis celles des monarques. Que les hommes sachent qu'une puissance législative n'est pas «notre Dieu sur la terre», quoique, par l'autorité qu'ils lui attribuent et par les choses qu'ils attendent d'elle, il semblerait qu'il l'imaginassent ainsi. Mieux, qu'ils sachent que c'est une institution servant à des fins purement temporaires, et dont le pouvoir, quand il n'est pas volé, est, tout au moins, emprunté. (...)

La première condition à laquelle on doit se conformer avant qu'une puissance législative puisse être établie sans violer la loi d'égale liberté est la reconnaissance du droit maintenant en discussion, le droit d'ignorer l'État.

Les partisans du pur despotisme peuvent parfaitement s'imaginer que le contrôle de l'État doit être illimité et inconditionnel. Ceux qui affirment que les hommes sont faits pour les gouvernements sont qualifiés pour soutenir logiquement que nul ne peut se placer au delà des bornes de l'organisation politique. Mais ceux qui soutiennent que le peuple est la seule source légitime de pouvoir, que l'autorité législative n'est pas originale, mais déléguée, ceux-là ne sauraient nier le droit d'ignorer l'État sans s'enfermer dans une absurdité.

Car, si l'autorité législative est déléguée, il s'ensuit que ceux de qui elle procède sont les maîtres de ceux à qui elle est conférée ; il s'ensuit, en outre, que comme maîtres ils confèrent ladite autorité volontairement ; et cela implique qu'ils peuvent la donner ou la retenir comme il leur plaît. Qualifier de délégué ce qui est arraché aux hommes, qu'ils le veuillent ou non, est une absurdité. Mais ce qui est vrai ici de tous collectivement est également vrai de chacun en particulier. De même qu'un gouvernement ne peut justement agir pour le peuple que lorsqu'il y est autorisé par lui, de même il ne peut justement agir pour l'individu que lorsqu'il y est autorisé par lui. Si A, B et C délibèrent, s'ils doivent employer un agent à l'effet d'accomplir pour eux un certain service, et si, tandis que A et B conviennent de la faire, C est d'un avis contraire, C ne peut être équitablement considéré comme partie à la convention en dépit de lui-même. Et cela doit être également vrai de trente comme de trois ; et si de trente, pourquoi pas de trois cents, ou trois mille, ou trois millions ?

Des superstitions politiques auxquelles il a été fait allusion précédemment, aucune n'est aussi universellement répandue que l'idée selon laquelle les majorités seraient toutes-puissantes. Sous l'impression que le maintien de l'ordre exigera toujours que le pouvoir soit dans la main de quelque parti, le sens moral de notre temps juge qu'un tel pouvoir ne peut être convenablement conféré à personne sinon à la plus grande moitié de la société. Il interprète littéralement le diction : «La voix du peuple est la voix de Dieu», et transférant à l'un la sainteté attachée à l'autre, il conclut que la volonté du peuple c'est-à-dire de la majorité est sans appel. Cependant, cette croyance est entièrement fausse.

Supposez un instant que, frappée de quelque panique malthusienne, une puissance législative représentant dûment l'opinion publique projetât d'ordonner que tous le enfants à naître durant les dix années futures soient noyés. Personne pense-t-il qu'un tel acte législatif serait défendable ? Sinon, il y a évidemment une limite au pouvoir d'une majorité. supposez encore que deux races vivant ensemble Celtes et Saxons, par exemple, le plus nombreuse décidât de faire des individus de l'autre race ses esclaves. L'autorité du plus grand nombre, en un tel cas, serait-elle valide ? Sinon, il y a quelque chose à quoi son autorité doit être subordonnée. Supposez, une fois encore, que tous les hommes ayant un revenu annuel de mois de 50 livres sterling résolussent de réduire à de chiffre tous les revenus que le dépassent et d'affecter l'excédent à des usages publics. Leur résolution pourrait-elle être justifiée ? Sinon, il doit être une troisième fois reconnu qu'il est une loi à laquelle la voix populaire doit déférer. Qu'est-ce donc que cette loi, sinon la loi de la pure équité, la loi d'égale liberté ? Ces limitations, que tous voudraient mettre à la volonté de la majorité, sont exactement le droit d'une majorité d'assassiner, d'asservir et de voler, simplement parce que l'assassinat, l'asservissement et le vol sont des violations de cette loi, violations trop flagrantes pour être négligées. Mais si de grandes violations de cette loi sont iniques, de plus petites le sont aussi. Si la volonté du grand nombre ne peut annuler le premier principe de moralité en ces cas-là, non plus elle ne le peut en aucun autre. De sorte que, quelque insignifiante que soit la minorité et minime la transgression de ses droits qu'on se propose d'accomplir, aucune transgression de ce genre ne peut être permise. (...)

Qu'un homme est libre de renoncer aux bénéfices de la qualité de citoyen et d'en rejeter les charges peut, en vérité, être inféré des admissions d'autorités existantes et de l'opinion actuelle. Quoique probablement non préparés à une doctrine aussi avancée que celle ici soutenue, les radicaux d'aujourd'hui, encore qu'à leur insu, professent leur foi en une maxime qui donne manifestement un corps à cette doctrine. Ne les entendons-nous pas continuellement citer l'assertion de Blackstone selon laquelle «Nul sujet anglais ne peut être contraint à payer des aides et des taxes, même pour la défense du royaume ou le soutien du gouvernement, sauf celles qui lui sont imposées par son propre consentement ou par celui de son représentant au Parlement» ? Et qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie, disent-ils, que tout homme devrait posséder le doit de vote. Sans aucun doute ; mais cela signifie bien davantage. S'il y a quelque sens dans les mots, c'est une énonciation précise du droit même pour lequel nous combattons à présent. En affirmant qu'un homme ne peut être taxé à moins qu'il n'ait, directement ou indirectement, donné son consentement, on affirme aussi qu'il peut refuser d'être ainsi taxé ; et refuser d'être taxé, c'est rompre toute connexion avec l'État. On dira peut-être que ce consentement n'est pas spécifique, mais général, et que le citoyen est sous-entendu avoir acquiescé à toute chose que son représentant puisse faire, quand il vota pour lui. Mais supposez qu'il n'ait pas voté pour lui et qu'au contraire il ait fait tout en son pouvoir pour élire quelqu'un soutenant des idées opposées quoi alors ? La réplique sera probablement qu'en prenant part à une semblable élection, il convenait tacitement de s'en tenir à la décision de la majorité. Et comment s'il n'a pas voté du tout ? Mais alors il ne peut à bon droit se plaindre d'aucune taxe, puisqu'il n'éleva aucune protestation contre son imposition ! Ainsi, assez curieusement, il paraît qu'il donnait son consentement de quelque manière qu'il agît, soit qu'il dît : «Oui», qu'il dît : «Non» ou qu'il restât neutre ! Une doctrine plutôt embarrassante, celle-là ! Voilà un infortuné citoyen à qui il est demandé s'il veut payer pour un certain avantage proposé ; et, qu'il emploie le seul moyen d'exprimer son refus ou qu'il ne l'emploie pas, il nous est fait savoir que pratiquement il y consent, si seulement le nombre des autres qui y consentent est plus grand que le nombre de ceux qui s'y refusent. Et ainsi nous sommes amenés à l'étrange principe que le consentement de A à une chose n'est pas déterminé par ce que A dit, mais par ce que B peut arriver à dire !

C'est à ceux qui citent Blackstone de choisir entre cette absurdité et la doctrine exposée plus haut. Ou sa maxime implique de droit d'ignorer l'État ou elle est sottise.

 

Herbert SPENCER, "le droit d'ignorer l'Etat", Social Statics, 1851

1. Peut-on s'exclure de la qualité de citoyen ? Sous quelles conditions ?

2. La minorité doit-elle accepter des décisions qui ne lui agréent pas ?

3. Comparer la logique politique à celle de la main invisible, utilisez l'analogie avec les jeux à somme...

4. Comment marquer son refus d'appuyer l'Etat ?

 

Attention ne pas confondre légitime et moral, si l'immoral est accepté par tous il devient légitime sans pour autant être moral. Culte de Quetzacoatl chez les Aztèques, le grand prêtre arrache le coeur d'un prisonnier pour honorer le dieu, si le sacrifice n'est pas fait la communauté est en danger donc ce sacrifice était considéré comme légitime, si nous faisons du relativisme moral on le dirait moral, mais la morale varie-t-elle selon les peuples et les époques ? Peut-on considérer comme morale une pratique légitime en certaines régions d'Afrique consistant à pratiquer ablation du clitoris et infibulation ?

            2. Légal donc légitime

Mais le droit et donc la légalité donnent  une autorité, un pouvoir, une influence. Certains considèrent que ce que veut le pouvoir doit forcément être légitime (ce que le roi veut, Dieu le veut). D'autres soutiennent un pouvoir clientéliste (qui donne des droits à certains aux détriments d'autres), ainsi la création de droits positifs "droits à" correspond donc à une volonté d'acheter une légitimation, sans pour autant se délégitimer auprès de ceux qui paient car ils sont plus diffus. L'ensemble des contribuables ne manifesterait pas contre une nouvelle prime accordée aux enseignants (les enseignants seraient de toute façon bien plus au courant de cette prime que les contribuables) d'autant que chacun pense pouvoir obtenir quelques droits garantis par le pouvoir : "L'Etat est cette grande fiction par laquelle chacun croît pouvoir vivre aux dépens de son voisin", Frédéric Bastiat.

            3. Illégal et légitime

Un pouvoir illégal et illégitime ne tiendrait pas car il serait combattu par les institutions (expression du pouvoir légal) et ne serait pas défendu. Par contre un pouvoir légitime peut-il être illégal ?

Un pouvoir illégal (légal aux yeux de ceux qui le légitiment puisqu'ils en acceptent les règles en se pliant à elles, illégal aux yeux du pouvoir établi) peut acquérir une certaine domination légitime sur certains, c'est à dire de l'autorité & de l'influence (la mafia, des groupes terroristes, par exemple). L'illégalité serait donc une instance de légitimation pour ceux qui considèrent le pouvoir légal illégitime.

L’état de sujétion dans les groupes sectaires

Du délit de manipulation mentale à l’abus de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique.

Selon la loi About/Picard : " Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende l’abus frauduleux ... d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ". Les peines encourues sont aggravées " lorsque le délit est commis par le dirigeant ou le représentant de fait d’une personne morale poursuivant des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ".

Conséquences de ces pratiques au niveau psychologique.

Selon l'UNADFI, association anti-secte, la manipulation mentale est habituellement pratiquée dans les groupements sectaires, l'association s'intéresse aux conséquences psychologiques de telles techniques et entend déterminer en quoi l'adepte d'une secte est soumis à un pouvoir destructeur ? :

"Véritables fabriques d’aliénation, les groupes sectaires ont des procédés qui entraînent des modifications graves au niveau de la personnalité, du comportement de l’individu et de ses relations avec sa famille et le monde extérieur. En effet, à certains procédés, le groupe sectaire amène l’individu à rompre avec son milieu culturel, familial, social et économique ou tout au moins à limiter, au maximum, les contacts avec l’extérieur. Aussi, l’individu perd son autonomie psychique et physique : convaincu et ayant perdu le sens de la réalité et un esprit critique, il ne peut plus se détacher du groupe et ne décode le monde que selon la logique de la secte."

Rapport UNADFI, novembre 2001.

1. De façon plus générale, le pouvoir (légal ou non) est-il donc une instance de légitimation ?

2. Affaire de sectes, sectes dangereuses, pour qui ? Membres ou société ? Différence entre parti et secte ?

3. En quoi consiste le délit de manipulation mentale, pourrait-on l'appliquer au-delà des sectes ? Exemple l'éducation "citoyenne" est-elle une manipulation mentale ?

L'influence & la domination illimitées peuvent être légitimes aux yeux des dominés. Faut-il donc déclarer illégale une telle domination au risque d'amener les dominants à accroître encore leur domination (pressions maximales pour éviter toute "trahison" qui menacerait gravement l'existence de l'ensemble de l'institution clandestine), la légitimité des dominants mettant, dans ce cas, en péril les dominés ? Doit-on déclarer légale toute domination légitime puisque acceptée par les dominés ? Pour répondre à cette question comment juger de l'acceptabilité d'une domination et qui doit en juger ?

L'expérience de Stanley Milgram