Miracle irlandais contre modèle malade français


L’exemple irlandais est mal connu en France. Ce pays a connu une croissance moyenne du PIB de 6,8 % par an entre 1986 et 2000 contre 2,4 % pour celui de l’ensemble de l’Union européenne. En 1987, le PIB par habitant de l’Irlande ne représentait que 63 % de celui du Royaume-Uni, aujourd’hui il est de 25 500 $. Il dépasse de 3 200 $ celui des Anglais...et laisse la France loin derrière.

(...) Certains en France croient pouvoir éviter le débat en attribuant les succès économiques de l’Irlande aux aides européennes. En vérité, la croissance économique irlandaise a été plus forte au fur et à mesure que les aides ont baissé. Attribuées dès 1973, année de l’entrée de l’Irlande dans la Communauté européenne, les aides en provenance de Bruxelles ont représenté 4 % du PIB entre 1973 et 1986 et 3 % entre 1990 et 2000 lorsque le pays a connu la plus forte croissance de son histoire : plus de 8 % en moyenne, un taux asiatique. Durant ces dix années, la contribution de l’Irlande au budget européen est passée de 359 millions d’euros en 1990 à 1,5 milliard d’euros en 2000. D’ailleurs, si les aides européennes sont à l’origine du boom économique celtique, pourquoi d’autres États ayant reçu encore plus d’aides n’ont-ils pas connu le même essor ? La Grèce et le Portugal reçoivent en moyenne des aides qui s’élèvent à 3,8 ou 4 % de leur PIB. Sans pour autant connaître les mêmes succès…

Non, les raisons qui ont fait que l’Irlande a pu vaincre un chômage à 17 %, un déficit public à 14 % du PIB et une dette publique à 129 % du PIB (en 1987) tiennent aux mesures structurelles prises par les autorités et à l’état d’esprit nouveau des Irlandais. Après sa victoire électorale de 1987, le nouveau gouvernement dirigé par le centriste (Fianna Fail) Charles Haughey lance le « Program for National Recovery » et, sous l’impulsion du ministre des Finances, Ray McSharry, décide de faire des coupes considérables dans les dépenses publiques qui passent de 52 % du PIB en 1987 à 40 % en 1989 (elles sont à 35 % en 2004) [1]. Douze points de moins en deux ans ! Pour cela, on a baissé les impôts et le nombre de fonctionnaires tout en libéralisant le plus possible l’économie. Un symbole de cette libéralisation (qui a continué sous le gouvernement de gauche de Mary Robinson élue en 1990) est que les aides publiques au développement économique gérées par l’institution étatique IDA (Industrial Development Agency) ont diminué régulièrement durant cette période. En même temps, l’impôt sur les bénéfices des sociétés est passé de 35 % à 10 % à la fin des années 1990, pour se stabiliser aujourd’hui à …2,5 % (contre 35,4 % en France), les prélèvements obligatoires de 45 % à 29 % du PIB (contre 45,4 % en France) et le chômage de 17 % à 4 % (contre + 9 % en France).

Malgré ce boom économique, l’inflation reste maîtrisée à 3-4 % par, ce qui n’est pas loin de la moyenne européenne. En même temps, le solde des administrations publiques se situe à environ -1%, c’est-à-dire mieux que l’Allemagne et la France (- 4%). Le tigre a joué la mondialisation Mais la maîtrise (et la baisse) de la dépense publique n’est pas la seule explication du miracle irlandais. Contrairement à d’autres pays, l’Irlande a joué à fond l’ouverture internationale. Elle a compris que la mondialisation n’était pas un problème mais une chance. Une enquête conduite auprès de 65 pays par AT Kearney-Foreign Policy, en 2004, montre que l’Irlande arrive en tête des pays les plus globalisés, avant même Hong Kong et Singapour. Les critères choisis pour réaliser ce classement sont complexes mais édifiants. Ils tiennent compte des chiffres du commerce extérieur, des investissements directs, du flux des capitaux mais aussi des contacts entre populations (voyages touristiques et d’affaire) et des progrès technologiques (utilisateurs d’Internet, nombre de serveurs). Dans le même classement, la France ne se situe qu’à la quinzième place. Dans un rapport sur la qualité de l’accueil des entreprises et le climat des investissements publié en 2005 par la Banque Mondiale, l’Irlande est, avec la Grande-Bretagne, la mieux classée parmi les pays de l’Europe de l’Ouest. La Banque Mondiale considère qu’elle a réalisé toutes les réformes nécessaires en faveur des entreprises : flexibilité des heures du travail, plus grande facilité d’embauche des jeunes, création des registres privés de crédit, réduction de moitié des délais de création d’une entreprise, réduction des trois-quarts des délais de recouvrement de ses créances. Voici un petit pays sans ressources naturelles, dont la population la plus énergique partait souvent de l’autre côté de l’Atlantique pour trouver des emplois et la prospérité, qui a changé du tout au tout. Il a joué à fond la carte de la libéralisation. Et cela a été payant. En 2003, le PIB/habitant de l’Irlande était deuxième au niveau européen après le Luxembourg (la France était douzième sur quinze). Décidément, le libéralisme est bien le meilleur atout pour les plus déshérités.

[1] Source : OCDE (General Government Total Outlays, 2004).

Nicolas LECAUSSIN, Éclairmag n° 1, Mai / Juin 2006

1. Pourquoi les succès économiques irlandais font-ils débat en France ?

2. Que sont des "mesures structurelles", donnez-en des exemples.

3. Quelles sont les raisons qui expliquent que l'Irlande bénéficie à fond de la mondialisation ?