La prochaine superpuissance


Les 15 kilomètres qui séparent New Delhi de Gurgaon, le tout nouveau quartier d'affaires de la capitale indienne ? Un cauchemar. Chaussée défoncée, animaux errants, engins pétaradants, mendiants en haillons... Après une heure d'embouteillage (les bons jours), des bureaux émergent ça et là d'un chantier, où une armée de cantonniers faméliques portent les pierres à mains nues. Mais franchissez le seuil d'une de ces tours de verre et vous voilà propulsé dans un autre monde. Chez Evalueserve: par exemple, première société indienne d'analyse financière, fondée en 2002. Là, scotchés à leur ordinateur ou pendus au téléphone, 300 jeunes, chemise blanche et cravate impeccables, alimentent, 24 heures sur 24, les plus grandes banques mondiales en études de marché. "Et nous doublons de taille chaque année", assure son numéro 2, Ashish Gupta, 36 ans, dans un anglais 100 % américain. Quelle claque !

Grand comme six fois la France, ce pays de 1,1 milliard d'habitants est bien le royaume des paradoxes. Alors que 350 millions de pauvres hères y vivent avec moins de 1 dollar par jour, qu'un tiers de la population est analphabète et que les infrastructures déglinguées rappellent plutôt l'Afrique, un triangle d'or délimité par New Delhi au nord, Bombay à l'ouest et Madras au sud tire aujourd'hui l'économie indienne au rythme effréné de 8 % de croissance par an.

Au total, quelque 150 millions d'Indiens jouissent déjà d'un revenu proche du standard occidental, et ils sont 30 millions de plus chaque année ! Un eldorado sur lequel se ruent les Danone, Nokia, et autres Adidas. "Le décollage du pays nous garantit trente ans de croissance", assure Christophe Bezu, le patron de la marque de sport en Asie. A ce rythme, cette république fédérale de vingt-huit Etats sera, selon Goldman Sachs, la troisième puissance économique mondiale en 2040, derrière la Chine et les Etats-Unis, mais loin devant le Japon et l'Allemagne. Sans parler de la France. Contrairement au tigre chinois, ce n'est pas l'industrie qui fait avancer l'éléphant indien. Ici, pas de villes-usines fabriquant micro-ondes ou chaussettes à la chaine. Le moteur du décollage se trouve dans les services. Grâce à une main-d'œuvre qua1ifiée, anglophone et 70 % moins chère qu'en Occident, ce secteur pèse déjà 52 % du PIB et croît de 20 % par an. Dans l'informatique notamment, où la patrie de Gandhi a décroché la place de deuxième exportateur mondial de logiciels derrière le colosse américain. Un pays pauvre en passe de devenir le bureau et le labo du monde ? C'est l'un des effets de l'incroyable bond en avant accompli depuis 1991. Car la première richesse de l'Inde, ce sont ses cerveaux. Si le slogan des capitalistes rouges chinois est "enrichissez-vous", celui de ce pays doté de l'arme nucléaire et d'un lanceur de satellites serait plutôt "éduquez-vous !". Plus de 380 écoles supérieures forment 500 000 ingénieurs par an, soit le plus gros vivier derrière les Etats-Unis.

Ces bataillons de nouveaux cadres sup viennent bien sûr développer la consommation. De la folie ! Plus de 3 millions de nouveaux abonnés au téléphone mobile chaque mois, 1 million de véhicules vendus par an (ce qui en fait le marché automobile le plus dynamique de la planète). En revanche, pas un hypermarché à l'horizon. Pour ne pas précipiter des millions de paysans et de petits commerçants dans la misère, le gouvernement freine l'arrivée des Wal Mart et autres Carrefour. Ce qui n'empêche pas le Français d'être en embuscade. "D'ici deux ans, nous entrerons sur ce marché avec un partenaire local dans les villes nouvelles, confie Gérard Freiszmuth, son représentant à Delhi. En espérant que d'ici là, les routes se seront améliorées."

S'il n'y avait que les routes ! Aéroports indigents, réseau ferroviaire centenaire, coupures d'eau et d'électricité quotidiennes... Le délabrement des équipements publics reste bien le principal obstacle au développement du business. Face à la grogne du patronat, le gouvernement a annoncé 144 milliards de dollars d'investissements d'ici à 2007. Pas sûr, cependant, que l'ampleur du déficit public (10 % du PIB) lui permette d'aller aussi vite.

La modernisation des infrastructures n'est pas le seul défi que doit relever l'économie indienne. Il va lui falloir aussi donner un job aux 600 millions de jeunes de moins de 20 ans (record mondial) qui vont peu à peu débouler sur le marché du travail. Or, si les services génèrent la moitié de la richesse nationale, ils ne représentent qu'un petit million d'emplois, réservés de surcroît à une minorité diplômée et anglophone.

Nathalie VILLARD (extraits cités par Citato), Capital Mars 2006

 

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