Répartition : justifier l'injustifiable


 

L’article de Jean-Marie Harribey intitulé « les retraites face à la capitalisation ouverte ou rampante » publié dans le magazine « Économie et politique » de mai-juin 2000 m’inquiète dans le sens où les présupposés fallacieux le disputent à la mauvaise foi pour abonder dans le sens d’une conclusion qui ne s’appuie que sur une pseudo-science réfutée depuis bien longtemps.

Harribey assume ce bidouillage d’une certaine manière car il plaide en faveur de ce qu’il appelle des conclusions « socialement acceptables », autrement dit le maintien quoiqu’il en compte du système de répartition.

 

Or on peut s’interroger sur le caractère socialement acceptable de ce système, la réalité du monde des exclus est ici délibérément ignorée. Car il faut bien le dire, les charges sociales laissent au bord du chemin les salariés les moins qualifiés : ce sont les plus pauvres qui sont les victimes de la répartition. Ce sont bien eux qui, dans les conditions actuelles, ne grossiront jamais la masse salariale globale, en dépit même des mesurettes réduisant les charges sur les bas salaires.

Les employeurs refusent d’avoir recours à eux dans la mesure où leur coût salarial - SMIC et charges - est plus élevé que leur productivité.

Les exclus refusent d’occuper de tels emplois car ils ne percevront que le SMIC et perdront de nombreux avantages sociaux, se moquant bien de ces charges que d’autres appellent risiblement salaires indirects. Oh, il ne s’agit pas là de fainéantise. Non, simplement de la trappe à la pauvreté, laquelle rend imperceptible la différence entre un salaire d’activité et un revenu d’inactivité.

 

Enfermé dans sa position de donneur de leçon de morale et d’économie, Harribey observe le monde du haut de sa posture d’intellectuel marxiste et prétend que les analyses menées jusqu’ici sur la faillite de la répartition sont toutes fausses.

 

Sa démonstration tient en 3 points.

Le premier de ces points est une évidence : les revenus versés à chaque période sont un flux et non un stock.

C’est bien là ce qui donne à la sécurité sociale son caractère de cavalerie financière à laquelle l’adhésion est obligatoire. Le principe est que chacun paie pour assurer un revenu à d’autres en réalisant le pari que lorsque le moment viendra, d’autres seront là pour le payer. Un pari impossible à tenir car ainsi que le démontre Christian Saint-Etienne les fondements socio-économiques des régimes de retraite par répartition seront divisés par 4.

Ignorant l’évidence Harribey prétend pourtant sans rire que « la supériorité d’un système de retraite par répartition sur un système par capitalisation tient au fait qu’il assure un transfert intergénérationnel dans l’instant tout en assurant que le même transfert intergénérationnel aura lieu plus tard ».

 

Mais combien rapporte la capitalisation ? Selon "Les Échos"

Alors qu'avec la répartition nous récupérerons moins que nous avons versé, en attendant de ne plus rien récupérer du tout, un actionnaire français a historiquement 70 % de chances d'enrichissement en valeur réelle de son portefeuille s'il conserve ses titres pendant 5 ans (et encore on ne supposera pas une gestion active). Sur 30 ans ses chances d'enrichissement montent à 88 %, et il ne s'agit là que de retenir des hypothèses pessimistes. On suppose bien sûr la détention d'une portefeuille d'actions et non d'obligations, a priori ce marché est plus risqué et les placements offensifs ne sont pas ceux de bons pères de familles. Mais comme le dit Denis Chemillier-Gendreau : "à long terme la volatilité s'annule elle-même - les bonnes années compensent les mauvaises - et ne laisse subsister que le rendement intrinsèque élevé. Autre caractéristique des actions : elles offrent la meilleure garantie possible contre l'inflation, car elles constituent un actif réel, une créance sur le PIB, lui même produit de la croissance et de l'inflation. … Le rentier des années 40, ruiné par l'inflation, n'avait pas investi en actions mais en obligations d'État ….."

 

Dans son deuxième et troisième point, s’appuyant sur sa conception dogmatique de la valeur, Harribey considère que la faillite du système de répartition ne repose en fait que sur l’augmentation de l’exploitation des salariés.

Il argumente donc pour une nouvel répartition des fruits de la croissance considérant que l’augmentation de la productivité du travail permet de couvrir la détérioration du rapport actif/inactif. Encore un pari très audacieux qui suppose une hausse continue des gains de productivité (merci le capitalisme) donc une hausse de la bourse qui profiterait à la capitalisation si je ne me trompe ?

À cela Harribey rétorque que le rendement supérieur de la capitalisation s’explique par le partage de la valeur ajoutée exclusivement au profit des détenteurs de capitaux contre les salariés. L’argument de lutte des classes s’offusque là des projets de fonds d’épargne salariale qui permettraient pourtant, même dans la logique d’Harribey, d’associer les salariés à la rémunération du capital. Quel mal y a t il à cela ?

Mais c’est que ces mêmes salariés vont devenir voraces par fonds de pension interposés et que le gouvernement d’entreprise impose des critères de rentabilité du capital devenus intenables. On n’est plus loin du retour au mythe marxiste de destruction de l’entreprise capitaliste par la pression de la concurrence.

 

Soyons sérieux les 15 % de rendement des capitaux ne sont pas un dogme et dans un monde où la capitalisation se répand, des sommes de plus en plus importantes à placer se contenteront de rendements moindres, lesquels pourraient néanmoins selon les projections multiplier de 5 à 8 la valeur courante de l’épargne sur un horizon de 30 ans. Cette exigence de rentabilité explique justement que la capitalisation est au bénéfice des épargnants salariés, les fonds de pension exigeant cette rentabilité alors que les fonds de la répartition sont gâchés, gaspillés par des intermédiaires qui se sucrent et n’offrent aucun rendement.

 

La solution d’Harribey se lit entre ses lignes à travers un raisonnement débutant par l’absurde : « Imaginons un instant que tous les individus cesseraient de travailler pour devenir tous actionnaires : la valeur créée et les revenus monétaires seraient alors nuls ; imaginons l’inverse où la propriété du capital disparaîtrait : la valeur créée et le revenu global resteraient inchangés ». Le sauvetage du système de répartition implique donc l’abolition du capitalisme et l’adoption d’un système socialiste. On le suit sans difficulté logique sur ce terrain : plus de capital privé donc plus de capitalisation.

Mais voulait-il vraiment tout sacrifier à la répartition ou cherche-t-il un moyen détourné d’imposer ce communisme avec son cortège d’horreurs et de régressions ? Précisons tout de même cette vérité admise par les économistes sérieux et qui énoncent que sans propriété privée des capitaux son affectation entre les différentes branches s’opère en dépit des besoins révélés par le marché. C'est bien là une des causes de la chute des économies soviétisées, mais suivons tout de même un peu Harribey, vous voulez sauvez la répartition comme le proclame Raffarin ? Alors soyez confiant nous plongerons pour cela tout droit vers le communisme.

 

Xavier COLLET, le 26 juin 2002

 

 

Questions

  1. Qu'est ce qu'une cavalerie financière ? En quoi le système de répartition peut-il être considéré comme une cavalerie financière ?
  2. En quoi l'affirmation : « la supériorité d’un système de retraite par répartition sur un système par capitalisation tient au fait qu’il assure un transfert intergénérationnel dans l’instant tout en assurant que le même transfert intergénérationnel aura lieu plus tard » s'avère-t-elle fausse ?
  3. Comment la capitalisation permet-elle de verser aux retraités plus qu'ils n'ont cotisé ? La répartition le permet-elle ? Expliquez.
  4. Comment Harribey explique-t-il la faillite de la répartition ? En quoi cette explication est-elle dogmatique ?
  5. Quel prix faudrait-il alors payer pour sauver la répartition ?