Les fantasmes de Madame Forrester
Voici quatre ans Viviane Forrester avait publié ce qui fut sans aucun doute le livre le plus inepte et le plus stupide de la décennie. Les médias français qui sont composés de fins connaisseurs et d'excellents pratiquants dans les domaines de l'ineptie et de la stupidité lui ont fait un triomphe.
Enfin, ils avaient entre les mains un livre d'économie qu'ils pouvaient comprendre de la première à la dernière page : et c'était normal, il n'y était pas un seul instant question d'économie. Enfin, ils pouvaient lire un livre qui leur présentait le monde contemporain comme ils se l'imaginaient en fréquentant les sauteries gauchistes de chez Maxim's : peuplé de rapaces ignobles avides du sang des masses laborieuses. En ce début d'année 2000, Viviane Forrester récidive.
Un vide mental vertigineux
Il y a dans son nouvel essai, " Une étrange dictature ", un certain nombre de progrès par rapport à l'ouvrage précédent : Viviane Forrester ne prétend plus parler d'économie et nous offre l'occasion d'admirer sa cuistrerie et son ignorance sous un angle beaucoup plus large. Ce qui ne manque pas d'intérêt.
À un certain degré, le vide mental peut se révéler vertigineux à observer.
Elle pose, qui plus est, sur la quatrième page de couverture, davantage décorée de bijoux, de boules dorées et de guirlandes qu'un arbre de Noël à la fin du mois de décembre et porte sur son visage un sourire qui révèle au grand jour ce qui était flagrant déjà dans " L'horreur économique ", mais qui, là se montre dans toute son obscénité
: madame est riche et aime le montrer, madame a des loisirs et elle est généreuse, alors elle se penche sur cette espèce qu'elle connaît si mal : les pauvres; et sur une espèce qu'elle connaît encore plus mal : les entrepreneurs. On peut ajouter à cela, dans le travail du style, ce qui est un autre progrès, une volonté nette de faire des effets d'écriture montrant que tout cela n'est pas sérieux : madame a des fantasmes et des visions hallucinatoires et entend les faire partager, quitte à forcer un peu dans la dimension apocalyptique.
Au centre des visions de madame, il y a un monde soumis à un régime dictatorial, méprisant, cynique, arrogant, celui, vous l'avez deviné, de l'ultra
libéralisme (dans le monde de madame, le libéralisme n'existe pas, il n'y a que l'ultra libéralisme).Ce régime cruel, nous dit madame, va chaque jour de fiasco en fiasco (on s'étonne d'ailleurs qu'il ne se soit pas encore effondré, mais rassurez-vous, ça ne saurait tarder). Les populations du monde, asservies, opprimées, de plus en plus exsangues, ne se révoltent pas car le régime cruel dispose d'efficaces instruments de propagande. On vous parle d'économie de marché, mais non, ne vous y trompez pas, c'est d'ignobles spéculations
mafieuses qu'il s'agit et de la frénétique "dévoration instituée de tous et de tout par quelques-uns" qui a pour seul but, au nom de l'infâme profit, de "généraliser la misère et de générer des enfers terrestres". On vous parle de démocratie, mais ne vous laissez pas duper : la seule question que se pose le régime cruel face aux populations est "comment s'en débarrasser"?
Exterminer est devenu difficile à grande échelle, alors en attendant que ce soit possible, on licencie, on réduit à l'indigence. Les adeptes du régime cruel, ces ultra libéraux qu'il aurait déjà fallu sans doute, selon madame, éliminer, vous disent pour vous tromper que tout va mieux en Amérique.
Ignoble est celui qui veut nous faire travailler
Mais ne vous y trompez pas : l'Amérique est un pays peuplé de crève-la-faim errant hagards dans les rues en quête de pitance sous le regard hautain de quelques milliardaires, et, si une famille sur deux y possède des actions en bourse, c'est qu'on a conçu un piège pour mieux voler leurs maigres économies. Comble de scandale, on veut y faire travailler ceux qui restent un peu trop longtemps en situation d'assistés sociaux Quelle horreur! Leur demander de travailler! Ce sera, nous dit madame, ajouter à leur misère un mépris absolu ",et qui sait si çà ne pourrait pas donner un jour l'idée aux cruels gouvernants de parquer ces inutiles, ces parasites dans des réserves et des camps (avec fil électrique et mirador?). Déjà en Europe, ajoute madame, on offre aux chômeurs moins d'argent qu'à ceux qui travaillent, alors qu'une société "incapable de leur offrir le travail auquel ils ont droit devrait au contraire leur donner des prestations supplémentaires", et, vraisemblablement les payer davantage que ceux qui travaillent et dont le "droit au travail" n'a pas été violé.
Bientôt, insinue madame, c'est aux assistés européens qu'on finira par demander de travailler vous verrez... Bientôt, on va faire en Europe comme en Amérique : on va voler les pauvres en leur faisant acheter des actions en bourse, et on appellera ça fond de pension, comme en Amérique. Madame vous l'aura bien dit ! Et comme un malheur ne vient jamais seul, cela pourrait risquer de pousser les pauvres à s'intéresser à la rentabilité des entreprises dont ils seront actionnaires.
Quel malheur en effet !
Les fantasmes de Madame secouent le bulbe de Lionel
Au bout de cette vision de cauchemar, à faire pâlir les survivants des camps de concentration nazis et soviétiques, madame, convaincue de vous avoir envoûté, vous propose la Solution : résister, refuser, crier que vous ne voulez pas de cette abomination.
Comme on est dans le domaine du fantasme, bien sûr, madame, ne vous propose pas de solutions concrètes- Mais pourquoi parler de la vile réalité dans un univers fantasmatique ? Madame se refuse à parler de l'avenir et des prochains épisodes : "face à l'inadmissible, écrit-elle, il ne s'agit pas de dicter un avenir précis". Surtout pas !
Madame a dû être punk dans sa jeunesse et se souvient des bons slogans : No future ! Madame a dû connaître Mai 1968 aussi et a dû faire partie des jeunes gens qui ricanaient quand ceux à qui ils venaient de hurler qu'il fallait détruire ce monde pourri leur demandaient ce qu'ils voulaient mettre à la place. Rien, bien sûr. Ils ne voulaient rien mettre à la place. Madame non plus ne veut rien mettre à la place.
Elle veut juste faire peur, juste cracher sa haine, juste aller au bout de ses délires et de ses démons intérieurs.
Dans une époque normale, on ne devrait voir là rien d'autre qu'un livre d'épouvante un peu médiocre à classer sur le rayonnage d'une librairie spécialisée entre les sous produits bas de gamme du Frankenstein de Mary Shelley et ceux du Dracula de Bram Stoker.
Malheureusement, nous ne sommes pas dans une époque normale. Il y a des gens pour croire que les fantasmes de madame décrivent l'univers dans lequel nous vivons. Il y en a dans les journaux, et des gens qui écrivent dans le quotidien
Le Monde, pourtant réputé sérieux, ont cru voir dans le livre ci-dessus décrit une alternative au "libéralisme planétaire". Il y en a au gouvernement : observez le regard fixe et pétrifié de Lionel Jospin et vous comprendrez que les fantasmes de madame lui ont secoué le bulbe.
Vous verrez que les effets du livre vont se faire sentir, susciter des débats.
Il ne faudrait pas prendre tout cela trop au sérieux, bien sûr, et nous ne saurions conseiller aux lecteurs des "Quatre vérités" que de répliquer à qui leur parlera d'"Une étrange dictature" par un grand éclat de rire et par quelques mots de compassion. Néanmoins (et c'est pour cela que nous avons consacré tant de place à un livre qui en mériterait fort peu), quand ceux qui prennent les vessies pour des lanternes et les fantasmes masturbatoires pour la réalité se font nombreux, on peut se demander s'il n'y a pas péril en la demeure. Nous saurons dans quelques années s'il s'agissait d'un véritable péril. Néanmoins, si au cours des mois qui viennent vous voyez des gens toujours plus nombreux se promener dans les rues en citant Madame Forrester et en arborant un regard halluciné et jospinien, nous ne saurions vous conseiller qu'une seule solution: fuyez...
Guy MILLIERE in "Les Quatre Vérités Hebdo", le 10/3/2000
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