EPREUVE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES
Dissertation
: Vous qualifierez l'attitude des Français vis-à-vis de l'Etat en
montrant son ambivalence.
DOCUMENT 1
Pour John Locke, l'état de nature est un état de paix, de bonne volonté, d'assistance mutuelle et de conservation [...]. Il y manque seulement une autorité commune, et c'est pour établir cette autorité que les hommes concluent le contrat social. [...] Ils confèrent au corps social les pouvoirs nécessaires à la poursuite de ses fins : le bien commun et la protection des droits naturels, parmi lesquels Locke fait figurer en bonne place le droit de propriété.
M. TROPER "Le Contrat social", Encyclopedia Universalis
DOCUMENT
2
Alexis de TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution, 1856
DOCUMENT 3
« Le plus puissant moyen, et peut-être le seul qui nous reste, d'intéresser les hommes au sort de leur patrie, c'est de les faire participer à son gouvernement. De nos jours, l'esprit civique me semble inséparable de l'exercice des droits politiques. [...] D'où vient qu'aux États-Unis, où les habitants sont arrivés d'hier sur le sol qu'ils occupent, d'où vient que chacun s'intéresse aux affaires de sa commune, de son canton et de l'État tout entier comme aux siennes propres ? C'est que chacun, dans sa sphère, prend une part active au gouvernement de sa société. L'homme du peuple, aux États-Unis, a compris l'influence qu'exerce la prospérité générale sur son bonheur, idée simple et cependant si peu connue du peuple. De plus, il s'est accoutumé à regarder cette prospérité comme son ouvrage. Il voit donc dans la fortune publique la sienne propre, et il travaille au bien de l'État, non seulement par devoir ou par orgueil, mais j'oserais presque dire par cupidité.
Alexis de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique, 1835
DOCUMENT
4
Dans le
passage suivant, tiré du célèbre livre du sociologue américain L. Wylie,
Village in the Vaucluse, le village de Roussillon (ici dénommé Peyrane)
dans les années 1950 est décrit avec la sympathie, mais aussi la lucidité
un peu moqueuse d'un étranger francophile et instruit.
Lorsque madame
Arène dit : «ils ont encore augmenté le prix du café », elle ne pense pas aux
« ils » du village, mais à une catégorie bien plus dangereuse de
« ils» : ceux
dont la menace vient de l'extérieur de la commune.
L'identité des « ils »
de l'extérieur varie. Le terme peut s'appliquer aux grosses sociétés, aux journaux,
au syndicat d'initiative d'Avignon. Le plus souvent, cependant, il désigne le
gouvernement français - sous tous ses aspects - car c'est le gouvernement qui
perçoit les impôts, qui fait la guerre, qui contrôle la production viticole et
qui emploie des fonctionnaires incompréhensifs.
Cette attitude est directement
contraire à ce qu'on enseigne aux enfants à l'école. Dans leur manuel d'éducation
civique, ils lisent que le gouvernement est simplement la manifestation concrète
de l'État, qui est lui-même la personnification politique de la patrie.
Malheureusement
la patrie et l'État doivent se traduire en termes humains, et c'est ici que les
gens de Peyrane refusent de croire aux
« belles phrases»
du manuel d'éducation civique. Théoriquement, le gouvernement peut être un aspect
de la patrie, mais en fait il est composé d'hommes, d'hommes faibles, stupides,
égoïstes, ambitieux. Il est du devoir du citoyen de ne pas coopérer avec ces hommes,
comme le voudrait le manuel, mais au contraire de les paralyser, de les empêcher
par tous les moyens d'accroître encore leur emprise sur les individus et
les familles. A Peyrane, tout le monde est d'accord : quiconque dispose d'une
parcelle de pouvoir est mauvais. On peut peut-être être vertueux
en s'occupant de politique, on ne peut le rester si on arrive au pouvoir.
[...] Les électeurs de Peyrane sont tous d'accord pour dire que les chefs des
partis pour lesquels ils votent sont "un tas de bandits". Même ceux
qui ne s'occupent pas de politique, mais qui travaillent dans l'administration,
sont atteints par la force corruptrice du pouvoir. Ils deviennent insensibles
aux sentiments d'autrui.
Bien entendu, une bonne partie des propos hostiles
au gouvernement et aux politiciens ne doit pas être prise trop au sérieux. Les
gens ne pensent pas tout ce qu'ils disent. Ils reconnaissent la nécessité d'un
gouvernement, et, en principe, ils reconnaissent même celle d'un certain esprit
civique. Cependant, lorsqu'ils se heurtent aux difficultés les « ils» de l'extérieur,
ils fulminent contre ceux-ci. Les « ils» de l'extérieur sont comme le temps qu'il
fait, ce sont des nécessités qu'il faut accepter parce que "c'est comme cela".
A pester on éprouve un certain soulagement, à pester contre le temps, et
aussi contre les «ils» de l'extérieur. Il serait naïf de prendre ces malédictions
à la lettre, mais non moins naïf de les ignorer : l'hostilité contre le gouvernement
est réelle et elle est profonde.
L WYLIE, Village in the Vaucluse, cité dans F GOGUEL, A GROSSER, La politique en France, 1970
DOCUMENT
5
Il est vrai que si, autrefois,
l'État faisait figure de pouvoir paternel, cette personnalisation n'a sans doute
pas entière ment disparu. On trouve cette image, notamment, dans les représentations
que s'en font les enfants. On la retrouve aussi dans les pratiques du pouvoir.
Ainsi lors des vœux télévisés des présidents de la République française, on a
constamment l'impression d'un père qui parle à ses enfants.
Alors, contester
l'État, n'est-ce pas un peu"tuer le père" ? N'attend-on pas de lui,
en effet, comme d'un père dans le cadre de la famille, qu'il aplanisse
toutes sortes de difficultés, voire toutes les difficultés, qu'il soit le défenseur
du bien commun, qu'il lutte contre les inégalités, contre ce que le président
Chirac a appelé la "fracture sociale", qu'il ait de grands desseins,
qu'il serve de grandes causes [...] ? N'attend-on pas également, surtout
en ces temps de crise de l'emploi, qu'il soit le maître d'oeuvre d'un développement
soutenu et harmonieux ? Si c'est bien cela que veulent les citoyens, alors, on
en conviendra sans peine, la tâche est immense.
Philippe GUILLOT, Iniatiation à la sociologie politique, 1998.
Vous qualifierez l'attitude des Français vis-à-vis de l'Etat en montrant son ambivalence.
Idée de plan :
Une approche individualiste : obtenir le plus d'avantages (allocations, protection des acquis) en limitant les coûts (impôts, taxe, contrôle social)
John Locke considère que l'Etat est au bénéfice de chacun puisque les hommes ont conclu entre eux un contrat social lui donnant naissance.
I. Les Français attendent beaucoup de l'Etat
A. Document 1: Besoin d'une autorité commune afin d'assurer la protection des droits naturels (sécurité de la personne et des biens donc propriété privée garantie).
Idée aussi d'une garantie du bien commun, terme difficile à déterminer mais permettant à l'individu d'attendre en dernier ressort sa survie de l'Etat. On montre donc que l'Etat est double, il est gendarme et providence.
L'Etat est aussi entrepreneur, il peut embaucher et il développe les infrastructures, répand le progres technique (Airbus, TGV, Minitel).
B. Il donne un sentiment d'appartenance dans un Etat-Nation comme la France, il permet de maintenir le lieu entre les régions et donne une histoire et une fierté ...
Document 5 : Figure paternelle de l'Etat, donc infantilisation subie et acceptée par le peuple : cérémonie des voeux du président, pouvoir de grâce.
C. Déification de l'Etat, entité magique au-dessus des dirigeants avec l'idée que tout déréglement est dû à l'égoïsme ou à la cupidité de certains et que l'Etat peut y répondre en réglementant sans tenir compte des effets pervers de la réglementation. Les français pensent aussi obtenir beaucoup de l'Etat et s'en remettent à l'Etat Providence qui leur apprend à ne plus compter sur eux-mêmes.
II. Mais ils ont le sentiment qu'il leur échappe (subsidiarité) et ils le craignent
A. Document 4 : Ou au contraire on peut tout reprocher à l'Etat, ne sachant compter sur soi même les secours ineffectifs de l'Etat sont cause de frustration à moins que le marché ne soit accusé.
L'Etat garantit les droits, il doit agir contre les licenciements, il doit maintenir les aides sociales et les subventions, il ne doit pas trop faire payer d'impôts.
B. De toute façon à Peyrane, les grosses entreprises, les hauts fonctionnaires contre lesquels on ne peut rien sont les "eux", les étrangers de la capitale dont l'on doit se méfier...
Document 2 : Le centre du pouvoir est loin, la France se caractérise depuis l'ancien régime par la centralisation administrative. L'idée même de séparation des pouvoirs de Montesquieu est bafouée ce qui fait douter de l'état de droit en dépit de la séparation formelle entre le législatif, l'exécutif, le judiciaire. En réalité l'exécutif peut légiférer par le 49.3 et peut se mêler du judiciaire : scandales des écoutes décidées par Mitterrand, de l'affaire des HLM de la ville de Paris et de Chirac ... Plus généralement ceux qui décident sont loin ou leur moralité est mise en doute, on ne croit pas qu'il veuille vraiment le bien commun car charité bien ordonnée commence par soi même : "on ne peut pas être vertueux si on arrive au pouvoir".
C. Or l'idée de contrat social implique des devoirs et des droits réciproques entre l'Etat et les citoyens, ces rapports sont ils équilibrés et le citoyen peut il réellement contrôler l'Etat par l'élection alors que chacun a un poids marginal dans le processus de décision et "ceux pour qui on vote sont un tas de bandits". (contradiction entre le fait de tout en attendre et de savoir qu'ils sont mauvais)...
Document 3 : Il faudrait donc réduire les prérogatives de l'Etat en donnant une place plus importante à la société civile et à l'individu au travers du principe de subsidiarité. Selon Tocqueville "l'esprit civique est inséparable de l'exercice des droits politiques". Il favorise donc une plus grande démocratie directe à l'image de la démocratie américaine ou des votations dans les cantons Suisse. Mais la subsidiarité ce n'est pas la démocratie athénienne où tous décident de tout y compris de la couleur des toges à porter, c'est plutôt l'idée que l'échelon supérieur ne puisse décider que de ce qui n'est pas possible de décider en dessous.
D. L'Etat inefficace en matière de sécurité publique et de bien commun avec l'échec de l'Etat Providence.
En synthèse on peut faire observer que le rôle de l'Etat s'est accru et qu'il prétend non seulement assurer le respect des droits individuels mais créer aussi des droits positifs au travers de l'Etat Providence. Droits positifs et droits naturels peuvent se contredire (droit au logement contradictoire au droit de propriété) et l'évolution décrite par Tocqueville dans laquelle l'individu déresponsabilisé s'en remet à l'Etat reflète une situation où la critique provient de ceux qui attendent tout de l'Etat sans vouloir assumer leurs responsabilités.
Ouverture : l'évolution des mentalités n'est pas naturelle, elle vient du rôle croissant que s'est donné l'Etat. Mais on pourra aussi différencier un critique infantiliste (plus d'Etat et que les autres paient pour nous) de celle d'individus réclamant une plus grande autonomie et davantage de responsabilités individuelles (aspiration au rétablissement de la subsidiarité par moins d'Etat).