L'ENA, une particularité française
Comme le notait Tocqueville, l'esprit aristocratique français met le service de l'Etat au-dessus de tout. Aujourd'hui rien n'a vraiment changé puisque cette aristocratie méprise tellement le peuple qu'elle ne se rend même pas compte de le rabaisser. Ainsi, une certaine Laurence Parly, énarque et secrétaire d'Etat au budget sous Jospin, révéla en 1998 sur France 2 qu'elle "préférait le service de l'État à la vente des savonnettes". La vente de savonnettes c'est-à-dire un travail productif au service du bas peuple.
Qu'une élite dans un pays développé se permette de mépriser ainsi ceux qui travaillent est chose rare, une telle attitude est plus répandue dans les économies de prédation du Tiers-Monde, là où justement on nous envie l'ENA, cette école de la haute fonction publique supérieure et arrogante. L'ENA n'est certes pas la source de cette mentalité malade, mais elle en est une manifestation. Lorsque les forts en thème, les premiers de la classe n'ambitionnnent pas de créer des richesses mais d'intégrer les plus grands corps d'Etat puis de pantoufler dans des grandes entreprises ou de se lancer à la tête des partis, l'élite française sombre dans le copinage, la corruption et bloque l'ascenseur social.
D'ailleurs c'est à coup de scandales politico-financier que la partie émergée de l'énarchie révèle sa nature au public. L'affaire Clearstream a mis en vedette Jean-Louis Gergorin, numéro 2 d'EADS et informateur qui a envoyé la fameuse liste de comptes en banque bidon destinée à diffamer Nicolas Sarkozy, le rival de De Villepin. Il n'a pas été bien difficile de vérifier les liens entre Gergorin et De Villepin, tous les deux élèves de l'ENA dans les années 70, Gergorin avait fait appel à De Villepin pour y assurer des fonctions importantes au ministère des affaires étrangères dix ans plus tard. Mais cette origine commune ne prouve rien, en France beaucoup de personnalités de la politique, de la bureaucratie et des affaires sont issues de l'ENA. Alors qu'aux Etats-Unis ces écoles d'élite que sont Harvard et Oxford ont donné au pays près de 500 000 hauts diplômés, on ne compte que 6 000 énarques. Nicolas Lecaussin pour l'iFRAP nous révêle qu'en 2002 on comptait parmi les anciens élèves : "70 préfets, 80 ambassadeurs, 80 directeurs d'administration centrale, 100 chefs de service-directeurs adjoints, 200 sous-directeurs, 45 trésoriers-payeurs généraux, 100 inspecteurs généraux … Ils (les énarques) sont majoritaires au Conseil d'Etat (80%), à la Cour des Comptes (72%) et à l'Inspection des Finances (66%). Dans le corps des administrateurs civils, ils sont aujourd'hui 69%, 49% sont des directeurs de ministères."
L'origine commune des deux protagonistes de l'affaire pourrait être une coïncidence, pourtant les moeurs aristocratiques des énarques, la forte reproduction des élites ainsi qu'un rôle prépondérant dévolu en France à l'Etat explique la création de réseaux occultes dans lesquels grands patrons, personnalités de la politique et des médias se tiennent et s'entraident. Ce qui inspirera à Alain Madelin cette saillie spirituelle : "L'Irlande a l'IRA, l'Espagne a l'ETA, l'Italie la mafia, et la France a l'ENA." Ce qui est en effet inquiétant c'est que les réseaux de l'élite que l'on pourrait élargir à Polytechnique sont présents dans tous les pouvoirs : magistrature, députés, hauts fonctionnaire, complexe militaro-industriel, pouvoir économique et pouvoir médiatique, ce dernier en l'occurence n'assumant aucunement le rôle traditionnel de contre-pouvoir tel qu'il existe ordinairement dans les pays démocratiques. Des journalistes parlent cependant, ainsi Ghislaine Ottenheimer à propos de l'ENA dira qu' "on évolue dans son cercle et on oublie facilement la loi. En cas de problème on peut toujours appeler un autre énarque pour qu'il nous sauve la mise". A cela Philippe Le Corre, conseiller de la ministre de la défense rajoute : "C'est un club très fermé et si vous n'en faîtes pas partie alors il est très difficile de vous faire accepter". Un autre ancien journaliste, Philippe Manière précise que le système de checks and balances n'existe pas puisque "Ni les juges ni les journalistes ne remplissent complétement leur rôle en France", pour lui même si les élites se diversifient un peu plus ces dernières années la France n'est pas une exemple de méritocratie comme on le pense souvent, mais une ploutocratie.
Mais cette élite, est-elle si compétente que cela ? Les énarques à la tête de grandes entreprises ne connaissent que la croissance externe, incapables de faire progresser le résultat net (Vivendi et France Télécom l'illustrèrent bien en 2002), pour tout problème ils créent des commissions, quant aux postes à pourvoir dans les grandes entreprises ou au sommet de l'Etat c'est le carnet d'adresse plus que les capacités qui comptent. Pas brillant les énarques, pas tant que cela en tout cas, on ne dira pas bête mais au moins disciplinés vis-à-vis de l'Etat-patron. Pour exemple Philippe Meyer raconte son expérience de membre du jury au concours d'entrée de la prestigieuse école. Sur un sujet de composition
"La culture peut-elle être l'affaire de l'Etat ?", il note dans son bêtisier : "La Joconde représente une vision essentiellement bourgeoise", "Le respect des traditions culinaires est, pour l'Etat, l'occasion de démontrer sa vocation à intervenir dans le domaine de la culture", "Le but de la politique culturelle est d'assurer aux employés du spectacle un pouvoir d'achat constant", "Le siècle des Lumières vit le début de la colonisation", "La conscience identitaire est faible aux Etats-Unis, qui n'ont pas de ministère de la Culture", "L'existence d'un ministère de la Culture au sein du gouvernement tend à démontrer que la culture relève des attributions de l'Etat", "Culture et Etat semblent liés comme semble le prouver l'existence d'un ministère". Dans leur fétichisme de l'Etat, et dans leur croyance en sa puissance et leur bonté, certains approchent du délire : "L'Etat est à l'origine de l'apparition de véritables génies tels Michel-Ange et Botticelli", se félicite un peut-être administrateur civil. Et un autre s'extasie : "Grâce à l'action culturelle de l'Etat, on dispose, depuis 1991, de l'intégrale enregistrée de l'œuvre de Mozart". En fait, c'est la firme multinationale Philips qui proposa les 635 oeuvres recensées par Köchel. Dans cette affaire, la part de l'Etat français se limita à… prélever une taxe de 18,5% sur les ventes de cette intégrale."
3.Expliquer
les phrases soulignées.
4. Quel rapport peut-on établir entre les scandales et le recrutement des élites dans la société française ? Les structures de l'économie française sont-elles aussi en cause ?