Principe de précaution contre responsabilité individuelle


Le consommateur protégé contre lui-même

Le développement des actions en responsabilité autour d’actions médiatisées comme les procès contre les fabricants de cigarettes ou les bistrotiers laissant repartir leurs clients ivres  apparaissent comme une conséquence du développement du consumérisme. Il s’agit là de faire reconnaître la responsabilité pleine et entière d’offreurs de biens et services dans les dommages résultant de la consommation de leurs produits.

Mais sur quoi reposerait cette responsabilité civile ? L’acte de vente de cigarettes ou d’alcools est-il fautif ou ne l’est-il que dans quelques cas, comme la négligence qui consiste à ne pas se rendre compte de l’état d’ébriété d’un client ? Ou bien le risque est-il le seul fait générateur de la responsabilité ?

Le politique protégé contre ses victimes

La faute peut être commise de façon active ou tout simplement par omission. Il peut donc bien y avoir faute pour ne pas avoir procédé à certaines actions nécessaires. Ainsi est évidemment fautif l’infirmier ou le médecin négligeant des mesures d’hygiène et propageant des maladies nosocomiales. On pourra aussi considérer comme fautif le maire d’une commune n’ayant pas entrepris des travaux nécessaires pour le maintien en état d’installations sportives devenues dangereuses. En particulier lorsque la chute d’un panneau de basket tue un enfant. Quant aux enseignants leur défaut de surveillance est fautif lorsqu’un gamin turbulent passe par la fenêtre. Que dire du juge d’instruction qui écarte certaines pièces et en vient à désigner trop facilement un coupable ?

Dans toutes ces affaires qui ont alimentées les chroniques judiciaires, la faute peut bien être retenue, même si quelques politiques ne la considèrent pas suffisantes pour les condamner. On se rappellera ainsi longtemps le « Responsable mais pas coupable » de Georgina Dufoix dans le scandale du sang contaminé. Pourtant là aussi, par protectionnisme et manque d’humanité les politiques avaient bien coupablement fauté. Protectionnisme en refusant d’importer le procédé américain de chauffage du sang ; manque d’humanité en ordonnant l’écoulement auprès d’hémophiles de lots sanguins contaminés par le virus du sida.

Le développement des actions en responsabilité existe bien, mais il semble se fonder principalement sur la faute. Le côté plus procédurier de la population, mais aussi le développement des techniques médicales, des responsabilités des élus, la complexification des affaires judiciaires, la plus grande technicité des produits et l’affaiblissement des liens entre l’enseignant et ses élèves expliquent en grande partie que des actions soient plus souvent intentées.

Le principe de précaution jusqu'à l'absurde

Mais nuançons un peu ce prima de la faute et allons plus loin dans la notion de responsabilité. L’existence d’un dommage suppose bien réparation et la victime n’est jamais vraiment coupable des dommages qui l’affectent. Ce principe peut être généralement retenu sauf à prouver la faute de ladite victime. Cette faute peut être établie en cas de suicide, d’imprudence caractérisée, mais il faudra encore que le défendeur établisse avoir mis en œuvre tous les moyens afin d’éviter la réalisation du dommage.

Partant de ce principe peut-on exonérer les fabricants de tabac de leur responsabilité dans la création de dépendance tabagique et le déclenchement de cancers chez leurs clients ?

Après tout la dépendance est établie scientifiquement, de même que le risque de contracter un cancer du fumeur. Les industriels du tabac ne peuvent prétendre ignorer ces faits et, face au consommateur profane, ils sont donc responsables.

Jusqu’où peut-on aller dans ce principe ? Après tout les excès de vitesse ne sont-ils pas dus à la mise sur le marché de véhicules pouvant largement dépasser les limites autorisées ? Pourquoi alors les contrevenants ne se retournent-ils pas contre les fabricants commercialisant de tels produits en toute connaissance de cause ?

Et puis les vendeurs de nourritures grasses, tenanciers de Kebabs ou de Mac Donald’s ne devraient ils pas exiger de leurs clients un certificat médical afin d’être certain de ne pas intoxiquer des malades du cholestérol ? Il s’agirait là, ni plus ni moins que de mettre en œuvre des moyens destinés à éviter les dommages que ces mêmes fabricants pourraient provoquer.

On voit bien ici que le développement jusqu’à l’absurde du principe de précaution fait encourir la responsabilité non pour faute mais pour risque à l’encontre de tout entrepreneur qu’on l’accuse de vendre de la « malbouffe », de cultiver des OGM, de commercialiser des téléphones portables ou encore de mettre sur le marché une vieille traction sans ABS, sans ceinture de sécurité arrière ni airbags.

Ce principe de précaution sera d’ailleurs de plus en plus invoqué à mesure du rejet croissant des responsabilités individuelles.

Moralité : se déresponsabiliser nous opprime ! 

"Le consommateur est la partie faible au contrat, à ce titre il doit être protégé y compris au sujet des conséquences de choix réalisés consciemment, comme par exemple le choix de fumer" nous dit le législateur des années 2000. Ce consumérisme à la Nader mâtiné de ce principe bientôt constitutionnel et Chiraquien d’un droit à un environnement sain, nous débarrasse de responsabilités trop lourdes à porter au détriment des fauteurs de risque toujours responsables. La loi alimente la fuite devant nos responsabilités individuelles et en retour cette fuite nous rend demandeur d’un  nouvel arsenal juridique imposant aux industriels, commerçants et professions libérales de nouvelles obligations afin de nous protéger contre nous-même : Fumer tue, conduire provoque des états de somnolence, boire rend con,  se déresponsabiliser nous opprime … Mais on y prend goût.

Xavier COLLET, le 12 mars 2005