Le capital humain
«
Quand on a établi une machine coûteuse, on espère que la quantité
extraordinaire de travail qu'elle accomplira avant d'être tout à fait
hors service, remplacera le capital employé à l'établir, avec les profits
ordinaires tout au moins. Un homme qui a dépensé beaucoup de temps et
de travail pour se rendre propre à une profession qui demande une habileté
et une expérience extraordinaire, peut être comparé à une de ces machines
dispendieuses. On doit espérer que la fonction à laquelle il se prépare,
lui rendra, outre les salaires du simple travail, de quoi l'indemniser
de tous les frais de son éducation».
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À travers cette citation, Adam Smith expose les caractéristiques essentielles de ce qui allait devenir, beaucoup plus tard, la théorie du capital humain. S'intéressant aux déterminants de la richesse des Nations, l'auteur souligne l'importance des déterminants humains dans la croissance économique.
Les auteurs classiques avaient déjà énoncé un principe fondamental en vertu duquel «il n'y a de richesses que d'hommes». Une ressource économique provient toujours et seulement d'un acte humain de création, donc d'innovation. C'est la mise au point du moteur à explosion qui a fait du pétrole - qui est à l'état naturel un déchet fossile - une source d'énergie essentielle qui aura détrôné le charbon. C'est l'innovation du composant électronique semi-conducteur qui a donné au silicium - c'est-à-dire du sable - une valeur économique de première importance
Les dotations naturelles jouent peu de rôle dans la croissance économique si l'esprit humain ne leur confère pas une utilité économique. C'est par l'acte d'innovation qu'elles acquièrent le statut de richesses. Car l'utilité économique découle de la mise au point d'artefacts.
Ainsi, la valeur ne préexiste pas aux besoins mais découle de ces mêmes besoins, n'étant pas une propriété intrinsèque de la matière. La valeur économique - tout comme la perte de valeur, c'est-à-dire l'obsolescence qui frappe les activités ou produits menacés par le changement technologique à l'exemple du charbon - procède du comportement d'innovation. C'est pourquoi les économistes considèrent qu'il « existe un capital dont l'accumulation joue un rôle plus important que celui du capital physique dans la croissance.. c'est le capital intellectuel, composé de formation et d'éducation, d'études et de recherche, d'esprit d'entreprise et de management » (Christian Stoffaës).
Les théories du capital humain sont nées des théories de la croissance. Avec les théories de la croissance endogène, le facteur travail a changé radicalement de statut. De facteur générique et primaire, il est devenu un actif spécifique dont l'accumulation est à la base de l'accroissement continu des richesses. Ce n'est plus la quantité de bras qui était déterminante dans le travail mais la qualité des cerveaux.
Cette évolution dans l'analyse traduit un changement profond dans la représentation du facteur travail. Les individus ne sont plus considérés comme détenteur d'une simple « force de travail » physique, condamnée à s'épuiser en vertu de la loi des rendements marginaux décroissants qui frappe tous les facteurs de production. Les individus sont porteurs de talents et d'expériences.
Or, ces derniers éléments ne sont pas aussi nettement affectés par le phénomène de rendements marginaux décroissants. Au contraire, le talent permet d'engranger de l'expérience, laquelle nourrit, confirme et développe - au moins pour un certain temps - le talent. Ce processus cumulatif fait du travail non plus une ressource primaire qu'il s'agit d'exploiter au risque de l'épuiser - mais un actif qu'il faut valoriser pour mieux le faire fructifier).
Ce n'est plus la quantité de travail - étalon privilégié de mesure de la « force de travail » - qui importe aujourd'hui mais sa qualité. Car, les processus de production de richesses et de création de valeur incorporent toujours plus de savoir-faire, de talents et d'originalité. Les modes d'organisation et de gestion du travail sont considérablement affectés par cette évolution qualitative qui rend les travailleurs beaucoup moins substituables entre eux.
Dans ce contexte, il y a un grand risque pour l'avenir à trop avancer l'âge de la retraite. Cela revient, en effet, à se priver d'une mémoire active et d'une expérience difficilement remplaçable alors que la formation de capital humain est un investissement de plus en plus long et coûteux.
C'est pourquoi aussi les efforts consacrés par l'individu - en temps et en argent - ainsi que les dépenses consacrées par la collectivité à l'éducation et à la formation sont considérés ainsi comme un investissement. Le parallèle est clair avec l' investissement dans son sens traditionnel.
Premièrement, l'achat d'actifs matériels (machines) est un investissement permettant la formation brute de capital fixe (FBCF). L'achat d'actifs immatériels (compétences), c'est-àdire l'embauche de personnes qualifiées, motivées et compétentes, est un investissement permettant la formation brute de capital humain (FBCH).
Deuxièmement, l'épargne qui permet de répondre aux besoins de financement des entreprises, est le résultat d'un arbitrage inter-temporel.
L'épargnant décide de consommer moins aujourd'hui pour préserver ou augmenter sa consommation future. De la même manière, l'étudiant qui décide de poursuivre des études réalise un arbitrage inter-temporel. Il diminue son temps de loisir aujourd'hui qu'il consacre aux études pour préserver ou accroître son temps de loisir demain. En effet, l'augmentation de son niveau de qualification lui permettra d'accéder à des emplois plus rémunérateurs. Il pourra, avec un temps de travail réduit, obtenir le même revenu que celui qu'il aurait gagné en consacrant plus de temps à un emploi moins qualifié.
Si les frais d'éducation et de formation d'un individu sont un investissement, ils seront récupérés sur la durée de vie active de l'individu pour être économiquement justifiés.
La théorie du capital humain apporte un éclairage théorique à la différenciation des salaires. Les individus incorporant des compétences différentes, nécessitant des efforts de formation différents, ne peuvent prétendre aux mêmes revenus.
Considérons deux cas théoriques opposés: d'un côté, une personne A très qualifiée prétendant à un emploi dont l'accès suppose 8 années d'études supérieures ; de l'autre côté, une personne B sortie du circuit scolaire dès l'âge de 16 ans et occupant un emploi peu qualifié. Si A et B perçoivent la même rémunération, A n'a aucune motivation économique à suivre des études et à se former. Ses études constituent, en effet, un manque à gagner dont le coût d'opportunité est représenté par les salaires qu'ils pourraient obtenir en travaillant dès l'âge de 16 ans. Et elles ne lui permettent même pas de prétendre à de meilleurs salaires au terme de ses études.
Plus l'éventail des rémunérations entre A et B est donc large et ouvert, plus les incitations à faire des études sont grandes.
Dans les pays qui privilégient une analyse du système éducatif en termes de capital humain, les inégalités salariales et la mobilité socioprofessionnelle qui les rend acceptables jouent un rôle moteur, la grille des salaires étant un bon indicateur des compétences demandées par les entreprises et des compétences acquises par les salariés.
Ces éléments interviennent à leur tour dans le choix de formation des étudiants qui vont privilégier les formations aux débouchés les plus prometteurs. Dans les pays qui considèrent que l'éducation est exclusivement un bien public sans lien avec le marché du travail, les inégalités salariales vont paraître moins légitimes. Dans le second cas, le risque est plus grand de former en masse des étudiants sans prendre en compte les besoins des entreprises et les requêtes des employeurs.
Tout effort de redistribution visant à réduire l'éventail des revenus, même s'il bénéficie d'une grande légitimité sociale aux yeux de l'opinion publique, contrarie ainsi la dynamique d'accumulation du capital humain, incitant les individus les mieux formés à trouver un emploi mieux rémunéré à l'étranger.
La théorie du capital humain offre ainsi une explication intéressante de la fuite des cerveaux.
Le capital humain désigne le stock des connaissances valorisables incorporés aux individus. Comme les dépenses d'éducation alimentent ce stock, elles sont, à ce titre, considérées comme un facteur d'efficacité, contribuant à élever le niveau de productivité des futurs travailleurs. L'investissement public a toujours un rôle à jouer dans la constitution de ce stock de capital humain.
De son côte, l'effort individuel de formation contribue à rendre spécifique et économique ce qui n'était que générique et gratuit. À partir d'un stock de connaissances existantes et libres, l'individu acquiert un talent spécifique et valorisable. Ainsi, l'individu ne saurait se contenter du seul effort public d'éducation et de formation. Par son implication personnelle dans une démarche éducative et de formation, l'individu se dote d'un portefeuille de compétences et d'expériences susceptibles de le différencier des autres et d'accroître ainsi sa propre valeur sur le marché du travail.
Ces deux démarches sont complémentaires. Dans ce domaine aussi, l'articulation - plutôt que l'opposition - entre la contribution publique (source d'externalités positives) et l'effort privé (source d'épanouissement personnel) dans le domaine de la formation du capital humain est nécessaire. Le seul effort collectif aboutit à créer une force de travail globalement plus qualifiée mais quantitativement plus importante et indifférenciée, ce qui aboutit à augmenter le seuil minimum de qualification requise pour accéder au marché du travail. Autrefois, le certificat d'études représentait ce seuil. Aujourd'hui, le baccalauréat est devenu le seuil minimum. Demain, le niveau licence (bac + 3) le deviendra à son tour.
Il faut se féliciter que le niveau général d'instruction ou de qualification progresse. Si c'est la condition nécessaire à la valorisation des talents et à l'exploitation des potentialités individuelles, elle n'est en aucune manière une condition suffisante.
Jean-Louis CACCOMO, L'épopée de l'innovation, L'Harmattan, 2005
Questions et amorces de réponses à compléter
1. Montrez en quoi la formation initiale constitue bien un investissement au sens premier de ce terme.
Se référer à l'introduction de Smith + la notion d'arbitrage inter-temporel.
2. Le capital humain peut-il être assimilé au facteur travail ?
Le facteur travail est un facteur de production complémentaire au capital, il prend la plupart du temps la forme de la location de la force de travail par le salarié. La notion de capital humain est plus large et correspond à un facteur devenu déterminant dans les économies post-industrielles : la matière grise. Selon l'auteur, sans reprendre les erreurs de la valeur travail, c'est le capital humain qui créé la valeur en donnant à des ressources sans utilité la forme qui pourra correspondre à des besoins exprimés. En donnant une utilité à l'inutile. De plus il s'agit d'un facteur de production dont les rendements ne sont pas décroissants.
3. L'inégalité des revenus est-elle une injustice selon la théorie du capital humain ?
Non, elle répond à des investissements différents en capital humain.
4. Expliquez le principe des rendements décroissants, s'applique-t-il au capital humain ?
Le capital humain suppose des rendements croissants à travers un processus cumulatif des connaissances et du savoir-faire.
5. Cette théorie remet-elle en cause les conditions de la concurrence pure et parfaite ?
Oui, la vision Schumpétérienne est mise en valeur, il s'agit d'un modèle dynamique ou le profit est possible et rémunère la créativité. De plus les facteurs de production ne sont pas parfaitement mobiles puisque le capital humain rend les hommes non substituables les uns aux autres.
6. Qu'est ce que le goodwill, représente-t-il une valeur non comptabilisée ?
Oui, c'est le savoir, les brevets, des actifs qui ne sont pas comptabilisés dans les bilans des entreprises. Le goodwill est donc constitué des investissements immatériels non comptabilisés par le SEC 95.
7. Quel rapport peut-on établir entre épargne et investissement ?
L'investissement suppose une épargne préalable c'est-à-dire un renoncement de jouissance (de l'investisseur ou de celui qui avance les fonds) pour la reporter dans le temps.