Qui sont les antipub ?
Texte 1 : 99 F, Frédéric Beigbeder, 2000
Je me prénomme Octave et m'habille chez APC. Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l'univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses que vous n'aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur PhotoShop. Images léchées, musique dans le vent. Quand, à force d'économies, vous réussissez à vous payer la bagnole de vos rêves, celle que j'ai shootée dans ma dernière campagne, je l'aurai déjà démodée. J'ai trois vagues d'avance, et m'arrange toujours pour que vous soyez frustré. Le Glamour, c'est le pays où on n'arrive jamais. Je vous drogue à la nouveauté, et l'avantage avec la nouveauté, c'est qu'elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas.
Votre souffrance dope le commerce. Dans notre jargon, on l'a baptisée " la déception post-achat ". Il vous faut d'urgence un produit, mais dès que vous le possédez, il vous en faut un autre. L'hédonisme n'est pas un humanisme : c'est du cash-flow. Sa devise ? " Je dépense donc je suis ". Mais pour créer des besoins, il faut attiser la jalousie, la douleur, l'inassouvissement : telles sont mes munitions. Et ma cible, c'est vous.
(…) Vous croyez que vous avez votre libre-arbitre, mais un jour ou l'autre, vous allez reconnaître mon produit dans le rayonnage d'un supermarché, et vous l'achèterez, comme ça, juste pour goûter, croyez-moi, je connais mon boulot.
Texte 2 : 99 F, Frédéric Beigbeder, 2000
La résistance au changement, c'est dans toutes ces salles de réunion impersonnelles qu'elle se pratique de la façon la plus violente. Le cœur de l'immobilisme réside dans cet immeuble, entre ces petits cadres à pellicules et à talonnettes. On leur a confié les clés du pouvoir, personne ne sait pourquoi. Ils sont le centre du monde ! Les hommes politiques ne contrôlent plus rien ; c'est l'économie qui gouverne. Le marketing est une perversion de la démocratie : c'est l'orchestre qui gouverne le chef. Ce sont les sondages qui font la politique, les tests qui font la publicité, les panels qui choisissent les disques diffusés à la radio, les " sneak previews " qui déterminent la fin des films de cinéma, les audimats qui font la télévision, toutes ces études manipulées par tous les Alfreds Dulers de la terre. Plus personne n'est responsable, sauf les Alfreds Dulers. Les Alfreds Dulers tiennent les rênes, mais ne vont nulle part. Big Brother is not watching you, Big Brother is testing you. Mais le sondagisme est un conservatisme. C'est une abdication. On ne veut plus vous proposer quoi que ce soit qui puisse RISQUER de vous déplaire. C'est ainsi qu'on tue l'innovation, l'originalité, la création, la rébellion. Tout le reste en découle. Nos existences clonées … Notre hébétude somnambule … L'isolement des êtres … La laideur universelle anesthésiée… Non, ce n'est pas une petite réunion. C'est la fin du monde en marche. On ne peut pas à la fois obéir au monde et le transformer.
Texte 3 : 99 F, Frédéric Beigbeder, 2000
Il est convaincu que le retour de la croissance est une bonne nouvelle alors que la croissance signifie de plus en plus de production vaine, " une immense accumulation de marchandises " (Karl Marx), une montagne d'objets supplémentaires pour nous ensevelir. Il a la foi. Il l'a appris dans la Haute École : en la Croissance tu Croiras. Produisons des millions de tonnes de produits entassés et nous serons heureux ! Gloire à l'expansion qui fait tourner les usines qui font grimper l'expansion ! Surtout ne nous arrêtons pas pour réfléchir !
(...) Chaque fois que ce type emploie le mot " marché ", il faut comprendre " gâteau ". S'il dit " Études de marché ", cela veut dire " Études du gâteau " ; " économie de marché " signifie " économie du gâteau ". Cet homme est favorable à la libéralisation du gâteau, il veut lancer de nouveaux produits sur le gâteau, se lancer à la conquête de nouveaux gâteaux, et n'oublie jamais de préciser que le gâteau est mondial. Il vous hait, sachez-le. Pour lui, vous n'êtes que du bétail à gaver, des chiens de Pavlov, tout ce qui l'intéresse c'est votre fric dans la poche de ses actionnaires (les fonds de pension américains, c'est-à-dire une bande de retraités liftés en train de crever au bord des piscines de Miami, Floride). Et que tourne le Meilleur des Mondes Matérialistes.
Texte 4 : Les antipub font de la provocation, Enjeux, février 2000
«Croyez-vous encore qu'une croissance infinie soit possible dans une planète où les ressources sont limitées?» Pour la deuxième année, le Comité des créatifs contre la pub (CCCP) et Résistance à l'agression publicitaire (Rap) ont invité le 25 novembre dernier les consommateurs français à célébrer la «journée sans achats ». Lancée il y a neuf ans aux Etats-Unis par la Media Foundation, cette manifestation entend dénoncer la surconsommation par la provocation. Comme leurs aînés américains, ces activistes français ont créé leur magazine, Casseurs de pub, et leur site Internet, antipub.net. Le contexte économique actuel, tourné vers le développement durable et la critique de la mondialisation, donne du souffle à leur combat.
Texte 5 : Guillaume
Rollin, Libération, le 10 mars 2004
(...) À l'origine du mouvement (des antipub), un simple appel lancé sur Internet, en octobre dernier, appelant au «recouvrement d'espaces publicitaires» dans le métro parisien. Le manifeste dénonce pêle-mêle «la marchandisation du monde», «la dégradation généralisée de la protection sociale», «la réforme des retraites», «l'école livrée aux marchands», «la médecine à deux vitesses». Vaste programme, émanant d'un mystérieux collectif composé d' «enseignants, chômeurs, chercheurs, intermittents, personnel de santé, archéologues, précaires, fonctionnaires, étudiants, architectes, etc.».
(...) La recette de leur succès ? Une apparente absence d'organisation. Au départ, un petit groupe de contestataires et un webmaster. Quelques notions de droit prodiguées par une assistante juridique. Depuis, on «organise des actions cohérentes sur le fond sans réelle concertation sur la forme», ajoute Ahmed Meguini. Les antipub n'ont pas de chef. Tout au plus des «référents», chargés de coordonner les petits groupes qui œuvrent dans le métro, et qui changent d'une opération à l'autre. «C'est ce qui nous différencie d'autres mouvements contestataires comme Attac, dont la lourdeur nuit au message et à la rapidité d'action», affirme une militante. Jean-Claude Oubbadia, membre et administrateur de RAP (Résistance contre l'Agression Publicitaire), autre mouvement antipub, confirme: «lls ont un vrai sens communautaire tout en gardant leur autonomie de pensée. C'est efficace. Nous, on s'engueule avant de s'engager dans quelque chose d'actif. Eux, ils foncent.»
Ces autres mouvements observent de près la nouvelle génération dont les motivations et les méthodes ont évolué. Arrivées en France au début des années 90, ces associations agissent le plus souvent dans un cadre légal. C'est le cas de RAP, fondée en 1992 par le plus célèbre des militants antipub, Yvan Gradis, en collaboration avec François Brune, l'auteur du Bonheur conforme, et René Macaire, penseur catholique adepte de la non-violence. Leurs objectifs : «aider à la prise de conscience des procédés publicitaires» et «promouvoir le vote de lois protégeant les libertés menacées par ces procédés, au moyen éventuel d'actions de résistance individuelle ou collective». Depuis dix ans, l'association, qui compte quelque 600 adhérents, s'est fait connaître à travers des opérations coup de poing : appel à remettre dans les boîtes aux lettres de la Poste les prospectus distribués par les facteurs ou encore sit-in pacifiques. Cependant, contrairement aux antipub du métro, qui «assumeront devant les juges leur démarche illégale mais non-violente», le RAP refuse de revendiquer en son nom toute action hors la loi.
Autre organisation légaliste, Paysages de France, créée en 1992 à Grenoble. En douze ans, l'association a fait disparaître plus d'un millier de panneaux illégaux des bords des routes, n'hésitant pas à traîner les autorités devant les tribunaux pour obtenir gain de cause. Toutefois, c'est vers la fin des années 90 que ces mouvements connaissent leur véritable essor et se radicalisent En 1999, un groupe de Lyonnais crée le magazine Casseurs de pub, s'inspirant d'une revue canadienne, Adbusters. Plus radicaux, ils ne se contentent plus de critiquer la pub, mais combattent un système, appelant notamment à s'abstenir de regarder la télé ou à se passer de la voiture.
Selon Arnaud Gonzague, leur «avènement est une conséquence du mouvement social de1995 qui a également marqué l'avènement d'un courant antimondialisation (Attac, la Confédération paysanne) ou le retour en force du féminisme (La Meute, qui s'oppose aux pubs sexistes, ndlr). La dénonciation d'un «totalitarisme» du système publicitaire «s'érige progressivement en critique du pouvoir des multinationales». C'est également la thèse de Naomi Klein, dont le livre No logo est la référence des antipub.
Bref, ces militants nouvelle génération font de la pub un symbole à abattre, celui d'une mondialisation jugée sauvage. «On n'attaque pas la pub par phénomène de mode, conclut l'un d'eux, mais parce qu'elle est le carburant de la marchandisation du monde.»
Travail préparatoire
1. Quelle posture l'auteur de 99 F adopte-t-il par rapport à son métier ?
Au début l'auteur se vante, il serait celui qui détermine les canons de la consommation. Il n'a aucune considération pour les produits qu'il promotionne puisqu'il " pollue l'univers et vend de la merde ". Il n'a pas non plus la moindre estime pour les consommateurs qu'il prend pour des idiots incapables de réaliser des choix éclairés, si ils sont comme il le dit " drogués à la consommation " c'est que cette consommation leur fait du mal (financièrement notamment), mais qu'elle les classe socialement. On aurait donc du mal à plaindre ceux qui " pètent plus haut que leur cul ".
2. Quel est réellement le pouvoir des publicitaires ?
Il est limité puisque les publicitaires ne peuvent imposer des goûts, ils utilisent des tests pour savoir ce qui plait. Ils cherchent bien sûr à lancer de nouvelles tendances mais moins d'un nouveau produit sur 10 mis à l'étude marchera.
3. Montrez que l'auteur se contredit quant à son pouvoir sur le consommateur.
Ceci va à l'encontre du premier passage où Octave (Frédéric Beigbeder) prétend pouvoir vendre de la merde et se jouer du libre-arbitre du consommateur en le poussant vers le produit de supermarché qu'il promotionne. Il méprise toujours autant le consommateur, mais cette fois il ne déplore plus sa passivité mais au contraire son rôle actif. Pour lui le consommateur est vulgaire mais il faut suivre ses goûts : " le marketing est une perversion de la démocratie ". Alors que le publiciste est raffiné, novateur, précurseur, mais malheureusement il n'est pas suivi. On pourrait alors se demander pourquoi le publicitaire veut " vendre de la merde ", mais pour l'auteur il semble qu'en fait le publicitaire ne puisse pas relever le niveau culturel du consommateur, qu'au contraire il doive plonger avec lui. En réalité il semble plutôt que ce soit Octave qui n'ait pas bien compris son rôle, il n'est pas là pour imposer ses goûts au consommateur, il doit seulement pousser des produits susceptibles de lui plaire. D'ailleurs lorsque le vrai Frédéric Beigbeder veut transformer le monde, il cherche à nous vendre le parti communiste de Robert Hue, il découvre alors que la merde se vend mal.
4. Qu'est ce qu'une fashion victim, en êtes vous une ?
La fashion victim achète sans réfléchir en fonction des nouveautés modes, elle souffre d'un fort conformisme vis-à-vis de son groupe d'appartenance. Pour elle la consommation est un système de signes, elle n'achète pas le produit pour lui-même mais pour l'image du produit et pour s'identifier à son groupe. C'est la cible type du publicitaire. Ce comportement n'est cependant pas si répandu, il correspond à un comportement compulsif d'achat propre notamment à certains adolescents non confronté à une contrainte budgétaire.
5. Cette critique de la publicité est-elle liée à d'autres critiques ? (dans le développement on utilisera cette question pour montrer le lien entre les antipub et d'autres NMS comme les partisans de la décroissance, les écolo radicaux, les né-luddistes, les anticapitalistes ...)
Dans le premier paragraphe, l'auteur oppose le " culte de la croissance " à la pensée rationnelle. On retrouve ici un thème anti-productiviste réduisant la satisfaction de nos besoins à la volonté d'accumulation de marchandises inutiles. Il faut rappeler ici que la croissance s'estime par la somme des valeurs ajoutées produites. Que cette augmentation de la valeur ajoutée est répartie sous forme de salaires plus élevés ou de temps de travail réduit, mais aussi sous forme de bénéfices accrus et de baisse des prix. Sans croissance nul ne peut s'enrichir, au contraire on s'appauvrit. L'auteur critique en réalité l'usage que nous voulons faire de nos richesses, il fait partie d'une élite d'argent et pourtant il ose prôner la pauvreté, aux autres… Être plus pauvre ce n'est pas être plus heureux pour autant, car parmi ces millions de tonnes de produits on trouve aussi des médicaments, des services qui font que nous pouvons vivre plus longtemps et en meilleure santé
Le second paragraphe se compose d'une tirade ne présentant pas le moindre argument, elle est de l'ordre de la discussion de café du commerce. Le terme gâteau n'est pas en lui-même péjoratif et les économistes expliquent souvent que la croissance c'est un peu la façon d'accroître la taille d'un gâteau afin que chacun puisse en obtenir une part plus grande sans pour autant prendre la part d'un autre. Il ne reste donc dans le terme que l'ironie que l'auteur y met. En réalité, cette ironie sert à présenter le " type " comme un avare qui cherche à s'accaparer un gâteau, il faut comprendre que sa part il l'obtient sur le dos des autres. Ce qui revient à méconnaître la logique de la création de richesse. On ne connaît pas non plus le type en question, sa personnalité, mais pour Beigbeder il doit haïr ses clients. Il ne fait là que reporter la haine d'Octave sur les consommateurs. Par contre l'entrepreneur n'est pas mué par la haine mais par la prise de risque et l'attrait du profit. Le marché est le principe qui veut que la réussite est la récompense de l'utilité sociale : si le type gagne des marchés c'est qu'il rend des services aux consommateurs. Qu'il les aime ou non relève de l'extrapolation, nous ne savons pas si Bill Gates nous aime et franchement nous nous en foutons tant qu'il nous propose ce qui nous intéresse. Nous savons cependant que nous ne sommes ni du bétail, ni des chiens de Pavlov car nous décidons nous-même de notre consommation. Enfin pour financer la recherche, les innovateurs ont besoin d'investir énormément. Ces fonds sont levés sur les marchés financiers et offerts par des fonds d'investissement à la recherche de bons rendements pour des économies placées. Notamment pour les économies des actifs souhaitant se constituer un capital pour leur retraite. Il n'y a là rien de critiquable, ce qui est scandaleux par contre c'est de penser que les actifs français cotisent à fonds perdus auprès de la Sécurité Sociale et ne toucheront bientôt plus rien d'un régime de retraite public en faillite. Mais ce ne sont pas les retraités américains qui ont pillé les actifs français, mais bien la Sécurité Sociale française.
Le quatrième texte met en évidence la participation du mouvement antipub participe à l'antimondialisation par sa critique radicale du capitalisme (l'acronyme CCCP signifie URSS en cyrillique) et de la notion même de développement. Contrairement à cette information du journaliste il ne se situe pas dans la défense du développement durable mais de la décroissance.
6. Établissez un rapport entre la théorie de la filière inversée et les propos des antipub.
La filière inversée de Galbraith prétend que ce ne sont pas les consommateurs qui décident de leur consommation, mais qu'ils sont le jouet des industriels et donc qu'ils ne bénéficient pas du libre arbitre. C'est exactement la vision des antipub qui vont jusqu'à évoquer des publicités subliminales.
7. Expliquer :«On n'attaque pas la pub par phénomène de mode, conclut l'un d'eux, mais parce qu'elle est le carburant de la marchandisation du monde.»
Marchandisation dans le sens où la publicité donne l'envie de consommer des marchandises sur des marchés, mais c'est ignorer que le désir de consommation peut aussi se porter sur des causes humanitaires, lesquelles se paient par des campagnes de publicité, il en va de même pour les films, les journaux, les évènements religieux. On peut trouver ici un pont entre les soixante-huitard qui critiquaient la société de consommation et partaient faire du fromage de chèvre dans le Larzac et les antipub et antimondialisation qui ont le même rejet car la consommation transforme tout en marchandise . Mais c'est là un réflexe de nantis, car les pauvres eux aspirent à consommer.
8. Quels furent les conséquences dans le monde de la F1 de l'interdiction de la publicité pour le tabac et l'alcool, qu'en déduisez vous ?
La publicité finance des évènements qui ne pourraient avoir lieu sans elle. Elle permet aussi de prendre en charge la gratuité : télévision gratuite, journaux gratuits, payés par les annonceurs...
Question de synthèse : Présentez le mouvement antipub et analysez ses motivations.