Antimanuel d'économie 


 

La conjuration des antis

 

On parle pas mal ces derniers temps de l’Antimanuel d’économie de Bernard Maris, quand on connaît un peu le pedigree du personnage on ne s’étonne pas que certains l’aient déjà encensé avant même de le lire et que des éditions aussi bien pensantes que les éditions scolaires Bréal le proposent comme ouvrage de référence en économie.

Il est vrai que le titre parle de lui-même, prétendre écrire un antimanuel c’est s’annoncer en opposition avec le contenu de tous les autres manuels d’économie, antimanuel d’économie et manuel d’antiéconomie c’est du kif kif puisque le parti pris des éminents membres d’attac, en tant que secte des adorateurs de l’Etat consiste à lutter contre la logique économique au profit de la logique politique. La lecture de quelques pages dudit manuel nous laisse cette impression, mais Maris va au-delà en se prétendant en rupture avec la logique des manuels, propagateurs d’une pensée unique …  On pourra s’accorder sur ce point … contaminée par les mythes libéraux …. Et là on peut raisonnablement consacrer une minute entière à se tordre de rire, effectivement, d’autres mieux que moi ont déjà analysé le référentiel en économie et son traitement par les manuels pour conclure qu’en substance les antimondialisations y ont imposé leur vision. On s’étonnera aussi que Maris reproche le manque de gauchisme des manuels dans un antimanuel justement édité par les éditions scolaires Bréal !

La gauche devrait aimer

Mais au-delà du constat mon commentaire va certainement recevoir le procès de subjectivité, je préfère donc, pour une fois, éclairer ce bouquin d’une autre subjectivité : celle d’un blog spécialisé sur le logiciel libre et tenu par un certain Tristan (http://standblog.org/blog/2004/04/27/93113444-antimanuel-d-economie-ecrit-par-bernard-maris), lequel avoue une nette tendance à gauche et plaide son côté béotien en la « dismal science » que se trouve être l’économie.

Ledit Tristan s’est donc fait prêter l’œuvre non pas pour son goût pour la matière mais parce que c’est un livre qui devrait, sans ironie, lui plaire selon l’ami prêteur. C’est dire la façon dont son ami le traite ! Tristan se plonge donc dans ce qu’il appelle un livre pour érudits de la science économique (sic) et revendique avoir lu un livre trop compliqué pour lui (resic), parions en fait que des sophismes s’emberlificotant ne se laissaient pas pénétrer facilement, ce qui devient, convenons-en, rare de nos jours.

Tristan ne reste donc pas insensible aux charmes de cette prose qu’il cherche à apprivoiser et qu’il qualifie « d’outil à démonter les théories simplistes avancées par les partisans de l'économie ultra-libérale ». Œuvre scientifique impérissable que Bréal livre aux lycéens et étudiants afin d’enterrer l’économie en tant que science ? Preuve irréfutable que la faillite des économies politiquement administrées était l’œuvre d’un complot judéo-capitaliste ? Pourquoi pas ...

Où Bernard Maris se révèle tel l'aliboron qu'il est

... Tristan s’intéresse au partage du savoir et plus particulièrement au logiciel libre sur lequel Maris, économiste expert s’exprime afin de concevoir d’autres pistes pour un autre monde. Et là Tristan fait redescendre Maris de son piédestal, autant il ne critique pas trop l’économie se sentant néophyte, autant il doute des compétences de l’autre naze sur son terrain de prédilection et corrige ses erreurs  : « On trouve même un court passage sur le logiciel Libre, avec des imprécisions qui en disent long sur les faiblesses de l'auteur sur ce sujet : «  Internet a permis la progression de phénomènes (...) comme le logiciel libre, totalement inadmissibles et incompréhensibles par l'économie capitaliste. Les défenses du logiciel libre (comme Linux) sont dans l'autre économie. Au départ, des informaticiens passionnés, des geeks, lancent un projet sur le Net, pour échapper au diktat de Microsoft qui fonctionne selon la vieille économie : rareté et péage. L'amélioration du logiciel est menée par une communauté d'utilisateurs potentiels éparpillés dans le monde, qui fonctionne selon le principe du plaisir et du don. Chacun apporte sa pierre au logiciel. Au total, celui-ci se révèle bien plus efficace que le logiciel concocté dans le secret et protégé par un brevet, Microsoft (sic : l'auteur voulait sûrement dire Windows), à tel point que certains grands groupes comme IBM l'ont adopté. Le logiciel libre retrouve une vieille lune de l'anticapitalisme : la société coopérative. Des ouvriers, des artisans, unissent leurs efforts pour produire un bien en se redistribuant les profits. L'information semble être un "bien", une dimension de l'humanité, inépuisable, non polluante et susceptible de croître à l'infini. Elle peut être fournie par les uns sans qu'ils s'appauvrissent, chose qui est inadmissible pour l'économie de marché, fondée sur la rareté et l'exclusion. Elle recèle l'abondance et la propriété collective... » ».

Maris, un guignol qui se pique de tout savoir sur tout et qui raconte des conneries sur le logiciel libre, tout cela avec le blanc-seing des éditions Bréal ? Eh oui, il faudrait laisser la parole à ceux qui s’y connaissent vraiment en économie pour qu’ils disent et je le dis que ce pauvre prof de mes f... fait honte aux quelques collègues sérieux de par ses a priori foireux qui en disent long  sur ses compétences économiques. Quant à proposer le logiciel libre comme appartenant à une logique opposée à la logique capitaliste, il vaudrait mieux laisser Faré s’exprimer en tant que spécialiste du logiciel aussi libre que l’économie dont il est partie intégrante. Opposer la logique du don à celle du capitalisme étant vraiment une gymnastique intellectuelle de décérébré tant la logique capitaliste participe elle-même de l’échange gagnant-gagnant dans laquelle le don a toute sa place, l’affirmer ainsi n’étant que redondance.

La haine au service du système

Maris en est donc réduit au peu qu’il est : l’auteur d’un « réquisitoire d'une rare violence contre l'économie capitaliste », partial comme seul peut l’être un parasite largement subventionné par ses maîtres pour faire œuvre non scientifique mais « franchement antilibérale ».

Et Tristan cite ainsi ledit réquisitoire : « Le productivisme acharné de l'économie capitaliste entraîne des pollutions grandissantes, accroît l'effet de serre, perturbe les climats, transforme la terre en vaste bidonville, favorise la diffusion des virus, des épidémies. » Par charité on ne demandera pas à Maris quel régime politique a fait d’une mer entière un horizon mort et nauséabond, quel régime nous a légué des cancers de la thyroïde à foison et des accidents industriels laissant croire à des essais nucléaires aériens ou souterrains ? On ne lui demandera pas non plus quelle innovation porteuse d’une gigantesque productivité est désormais capable de permettre une agriculture sans pesticide…

« Les inégalités s'accroissent de façon monstrueuse. Pauvreté et chômage de masse cohabitent avec une richesse extrême. » Là encore à quoi servirait-il de lui opposer les recherches citées par André Fourçans dans « La mondialisation racontée à ma fille » et dont les sources, qu’elles viennent de l’ONU ou de l’Organisation Internationale du Travail, organismes que l’on pourra difficilement accuser de libéralisme, démontrent le contraire sur la période 1950-2000, sauf évidemment en ce qui concerne des paradis à l’abri du capitalisme comme Cuba ou la Corée du Nord.

A l’inanité, Maris rajoute en fieffé marxiste le procès que faisaient les Soviétiques aux démocrates bourgeois, on se croirait en pleine guerre froide et du mauvais côté du mur quand on lit : « La compétition et la marchandisation de tous les rapports humains, de la famille, de l'éducation, du sport, de la culture détruisent tout lien social. Les individus manipulés par la publicité, soumis à l'abrutissement médiatique, aliénés dans le stress et l'alcoolisme du travail pour les plus heureux, passent à coté de leur vie. La corruption généralisée s'installe, les mafias et les tribunes dominent, les vieilles figures de l'honneur, du désintéressement, de la noblesse disparaissent au profit de la cupidité et de la vénalité généralisées. »

L'illusion fait long feu

Marchandisation contre sévices publics imposés, au nom de la liberté et de la lutte contre les privilèges acquis j’ai depuis longtemps choisi la seule lutte qui vaille. Ce n’est certainement pas le cas de Tristan qui, homme de gauche, a du trouver la tartufferie lyrique plaisante mais n’en reste pas moins lucide quand il conclut : « Mais au delà de cela, je souhaitais trouver des pistes pour améliorer le capitalisme. Souvent, elles ont été suggérées, mais c'est en arrivant à la conclusion que la désillusion se révèle : l'auteur a tourné autour du pot pendant 350 pages. »

 

Xavier COLLET, le 12 septembre 2004