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Sympathie et égoïsmeOu bien on dit qu'un homme est égoïste s'il vit de la manière qui lui semble la plus convenable à la pleine réalisation de sa personnalité ; si, en somme, le but principal de sa vie est le développement de lui-même. L'égoïsme n'est pas de vivre comme on désire vivre, c'est de demander aux autres de vivre comme on désire vivre soi-même. Et le contraire de l'égoïsme, c'est de laisser libre la vie des autres, de n'y point intervenir. L'égoïsme tend toujours à créer autour de lui une absolue uniformité de type. Celui qui n'est point égoïste reconnaît que la diversité infinie du type est une chose délicieuse, l'accepte, y acquiesce, en jouit. On n'est pas égoïste en pensant par soi-même. Un homme qui ne pense pas par lui-même ne pense pas du tout. On est grossièrement égoïste en exigeant de son voisin qu'il pense de la même manière que nous, et professe les mêmes opinions. Pourquoi le devrait-il ? S'il peut penser, il pensera probablement d'une façon différente ; s'il ne le peut pas, il est monstrueux d'exiger de lui une pensée quelconque. L'égotiste est celui qui impose des obligations aux autres, et l'individualiste ne désirera pas le faire. Cela ne lui donnerait pas de plaisir. Quand l'homme aura réalisé l'individualisme, il réalisera aussi la sympathie et l'exercera librement et spontanément. Jusqu'à présent, l'homme a cultivé à peine la sympathie. Il a seulement de la sympathie pour la souffrance, et la sympathie pour la souffrance n'est pas la forme la plus élevée de la sympathie. Toute sympathie est belle, mais la sympathie pour la souffrance en est la moins belle forme. Elle est entachée d'égoïsme. Elle est sujette à devenir morbide. Émile DURKHEIM |