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NOVLANGUE COLLECTIVISTE"La Vie" du 16 septembre 1999, dans un article de Gilbert Perrin, se penche une fois encore sur une de ses marottes : l'indécent diktat des marchés. Un auteur fait ses délices, il s'agit de Jean-Claude Guillebaud, dont l'essai, "La refondation du monde", "s'élève contre l'hégémonie du marché qui grignote la démocratie". La chanson on la connaît, alors autant la cerner de plus près en analysant les zélateurs du politique et en recoupant leurs analyses. On remarque d'abord l'utilisation de termes faisant référence à des valeurs pour lesquelles nos collectivistes accordent une signification contraire à leur sens premier (Liberté = esclavage ; démocratie = diktat des gouvernants ; égalité = nivellement par le bas). Seul le terme citoyen reste compréhensible dans son sens premier : à savoir esclave de l'État. Puis le marché se pare d'attributs magiques : il est personnalisé. La personne "marché" devient coupable de tout sans qu'on nous explique comment et pourquoi. L'État, à l'inverse, est, tout aussi magiquement, dépersonnalisé et remède à tous les maux on ne saura non plus comment. L'analyse vaudrait presque si elle permutait les mots État et marché. Mais, encore faudrait-il qu'elle commence un début de démonstration, tous n'est ici qu'incantations, mythes, discours sectaire et langue de bois. La Liberté, la vrai, y est hégémonique, envahissante, sauvage ou encore dangereuse et j'en passe. La coordination des libres choix individuels sans l'intervention du censeur ou racketteur est présentée comme anarchique, déshumanisée. Les règles, vols et spoliations sont vertueux et acceptés, voire même revendiqués par les acteurs citoyens de leur démocratie. Une fois cette sémantique assimilée, les incantations suivent une progression passant par l'énonciations de poncifs pouvant varier mais se retrouvant accompagnés éventuellement de novations de langage et d'expression (novlangue) intégrés aux poncifs pour renforcer leurs vertus mystérieuses que l'on combinera au gré des modes de discours et de l'évolution des tendances du politiquement correct. L'utilisation de termes "in" comme World Company est un exemple de cette évolution de tendance, il remplace souvent "concentration sauvage des marchés" car il est plus radical et plus facilement compréhensible. Mais l'étude sommaire de la novlangue par l'article de Guillebaud dans la Vie ne constituait à proprement parler qu'une esquisse des poncifs utilisés par les collectivistes de toujours dans leur lutte contre la liberté individuelle. Une lecture de Bourdieu la complète et nous amène bien plus loin dans l'attirail du viol sémantique opéré par Guillebaud. Une différence effectivement, Bourdieu pose que le terrorisme et la violence se justifient pour rétablir une véritable dictature du prolétariat contre cette liberté qu’il croît au pouvoir et qui pourtant dans la réalité reste bafouée par ses semblables qui nous dirigent et font l’opinion.
Guillebaud, comme tous les chantres du
politiquement correct, se veut lui aussi subversif. La Vie va dans le même
sens, elle soutient l'intellectuel qui a le courage de s'opposer au discours
dominant. Là est sa subversivité , car, aussi étonnant que cela puisse
paraître, dans un pays où l'État prélève plus de la moitié de la richesse
nationale, le "discours néo-libéral est dominant". Bourdieu a encore plus loin dans son opuscule
« Contre-feux, propos pour servir à la résistance contre l’invasion
néo-libérale », il ne s’agit plus seulement de subversion mais de
terrorisme (intellectuel seulement ?) puisque Bourdieu présente ses écrits
comme « pouvant fournir des armes utiles à tous ceux qui s’efforcent de
résister au fléau néo-libéral ».
Le gourou prétend « rompre l’apparence d’unanimité qui fait
l’essentiel de la force symbolique du discours dominant » on est bien
d’accord mais qui donc tient ce discours dominant ? Nous mêmes qui restons
largement inconnus ou les trop fameux Marianne, Monde Diplomatique, Alternatives Économiques ? La réponse est évidente et pourtant Bourdieu s’en prend
aux politiques à cours d’idéaux mobilisateurs, à l’avis de tout le monde qui
n’est que celui des gens qui écrivent dans les journaux des intellectuels qui prônent le
« moins d’État » (sic). Il propose d’ailleurs d’en passer à
l’épuration : « il faudrait analyser le travail collectif des
nouveaux intellectuels qui a créé un climat favorable au retrait de l’État et,
plus largement, à la soumission aux valeurs de l’économie ». A quand les
commissaires politiques ? Deuxième poncif : la remise en cause
des valeurs traditionnelles Dans toute la modestie de son monopole du savoir
et de l'interprétation de la tradition, il nous affirme que les valeurs
fondatrices de notre civilisation : l'égalité, le progrès, l'universalité, la
liberté, la démocratie, la raison, "sont menacées par la modernité,
gangrenée par la démocratie de marché (?) et le libéralisme triomphants alliés
à une technocratie sans conscience". Plus fort, Bourdieu parle de la destruction d’une
civilisation associée à l’existence du sévice public, celle de l’égalité
républicaine des droits : droits à l’éducation, à la santé, à la culture,
à la recherche, à l’art et par dessus tout au travail. Une variante principale : En dépit du caractère
stéréotypé du discours, les adversaires de la liberté précisent leur choix de
société. On peut distinguer désormais ceux qui en restent à
une analyse marxiste de la société considérant que l'échec de leur modèle est
en fait l'échec d'un autre modèle, allez y comprendre quelque chose ! Plus nombreux sont les "collectivistes
anti-sectaires" s'opposant au "sectarisme du marché", Guillebaud
se situe dans la mouvance des Jean-François Kahn, des Lionel Jospin. Ce qui nous amène au troisième
poncif : la société de marché A ce titre il fait une différence entre l'économie
de marché dont il ne désavoue pas les principes ; et la "société de marché
hégémonique". Il en précise les contours : "le marché devient
totalitaire quand il prétend à lui seul réglementer une société, quand il
grignote petit à petit la démocratie elle-même, se substituant en douceur à ses
mécanismes. Là encore inversion des concepts, on en est à du
Lamennais : la loi libère et la liberté opprime. Évidemment il n'existe pas
d'économie de marché digne de ce nom quand les différents acteurs sont à la
merci de l'État, la démocratie défendue par les collectivistes est totalitaire
en ce sens qu'elle réglemente et se dote d'une "superstructure"
s'appuyant sur les groupes de pression pour légitimer sa dictature, le chantage
au donnant-donnant tenant lieu de consensus social. Quatrième poncif : la perte des
valeurs unificatrices fragilise la société Que ces valeurs soient meurtrières importe peu, ce
que voit Guillebaud c'est "une hégémonie du marché d'autant plus
dangereuse aujourd'hui qu'elle s'exerce dans le cadre de sociétés atomisées qui
n'ont plus de croyances communes fortes qui tiennent debout." Tout sauf le
libre arbitre donc, le choix reste vaste : le nationalisme revanchard, le
communautarisme raciste, l'islamisme ou autre intégrisme, le communisme …, mais
surtout pas l'individualisme qui n'est pas une valeur mais un ferment de
dissolution des sociétés. On utilisera également, le mythe du repli sur soi que
beaucoup confondent avec l'individualisme, étrange de la part de ceux qui se
battent contre la mondialisation et l'ouverture des frontières. Cinquième poncif : le renvoi dos à
dos du capitalisme et du communisme "soviétique" "Ainsi, Wall Street a remplacé le Kremlin :
même intimidation, même mensonge, même arrogance, aggravés par cette situation
inédite de monopole : "la nouvelle antiutopie qui rôde dans l'air du temps
est celle d'un pilotage non humain de nos sociétés." La Vie parle ensuite d'un "impérialisme du
court terme des marchés financiers" ce que Guillebaud nomme la
"tyrannie de l'instant". L'accusation est grave, Staline aurait dit :
"Wall Street combien de millions de morts ? ". Elle tient du négationnisme
pur et simple, d'autant que là encore on ne sait pas en quoi
consiste l'intimidation, le mensonge ou l'arrogance. Un mot terrible : monopole, le monopole de cette
liberté individuelle qui permet le pilotage non humain, c'est-à-dire celui des
anonymes dans leur libre choix de tous les jours. Guillebaud fait peur, on sent
bien que ce "monopole", qui n'existe hélas pas; s'attire sa haine ;
il préfère certainement la liberté des politiques, le pilotage humain, celui de
ceux qui seuls existent à ses yeux, ceux qui ont un nom à accoler à une
politique, le pilotage par les "mesures Aubry", par exemple. Pour ce
qui est de nos choix individuels, sommes nous réellement des humains à ses yeux
? Quant à l'impérialisme du court terme parle-t-on
assez de celui-ci : après mon mandat la fin du monde … Sixième poncif, un des plus
prégnants : l'inégalité véhiculée par le capitalisme Guillebaud parle de l'inégalité en tant que projet
de société. Oui l'inégalité capitalisme qui consisterait à récompenser l'effort
et à libérer l'initiative : une égalité de droits proclamé contre une égalité
par le bas. Mais l'inégalité consiste aussi à s'enrichir par
ses relations, à gagner sans rendre service, à extorquer sous la menace, à
créer une classe privilégiée de décideurs non responsables sur leurs biens mais
sur celui des autres. Là encore un renversement sémantique est à
l'œuvre. Le renversement va chez Bourdieu jusqu’à justifier
la violence ; l’inégalité y devient une violence contre laquelle il
appelle à la terreur : « on ne peut tricher avec la loi de la
conservation de la violence ; toute violence se paie et par exemple la
violence structurelle qu’exercent les marchés financiers sous forme de
débauchages, de précarisation, etc … à sa contrepartie à plus ou moins long
terme sous forme de suicides, de délinquance, de crimes, d’alcoolisme, de
petites et de grandes violences quotidiennes ». Septième poncif : les effets pervers
du marché Il existe un autre poncif qui n'apparaît pas dans l'article, pourtant très utilisé, il consiste à rendre compte des effets pervers de l'interventionnisme en l'imputant au marché. Évidemment, toute intervention créée une réaction en chaîne dont le seul coupable ne saurait être le marché qui ne se plie pas docilement au prévisions des technocrates.
Bourdieu ajoute un raisonnement en terme d'acquis
sociaux, tout devient acquis social, une habitude, une logique, tout. Il
l'utilise pour opérer sa dialectique : les acquis sociaux sont à l'origine de
la lutte des classes, la fausse bien sur pas celle de ceux qui en ont contre
ceux qui n'en ont pas (des acquis sociaux bien sûr) ! Le raisonnement est
pervers, tout y découle de la loi et bien sûr la loi a donné aux capitalistes
les acquis sociaux qu'elle n'octroie pas aux travailleurs. Ces acquis sociaux
(dits économiques) concernent les investisseurs et consistent en leurs profits
financiers, obtenus bien entendu au détriment des acquis sociaux des
travailleurs. Et Bourdieu s'inquiète reprenant le premier poncif
celui de la subversivité (car, aussi étonnant que cela puisse paraître, dans un
pays où l'État prélève 54,6 % de la richesse nationale, le "discours
néolibéral est dominant"), il rajoute même : "la politique dominante
néo-libérale, imposée par les révolutionnaires conservateurs (sic !) qui sont
actuellement au pouvoir, dans les instances politiques et dans les instances de
production des discours …". Bref, il s'inquiète car ces néo-libéraux vont
mettre fin à l'acquis social de la répartition puisque "les acquis sociaux
des investisseurs ne survivraient pas à la perpétuation du système social. A
quoi on peut rajouter que les salariés cotisant aujourd'hui, contraints et
forcés n'y survivront pas non plus. Quoi, le rapport Charpin ? Bourdieu répond par un
autre poncif de la novlangue : le raisonnement économique est disqualifié. Mais
bien sûr "l'économie est, sauf quelques exceptions (ah tiens !), une
science abstraite (non intuitive !!!) fondée sur la coupure, absolument
injustifiable, entre l'économique et le social qui définit l'économisme".
C'est sûr Bourdieu ignore toute attitude d'humilité vis-à-vis du processus
social. Les poncifs déjà évoqué apparaissent de manière
semblable dans la plupart des analyses sociales et économiques françaises, nul
doute que ces gens là parlent la même langue aberrante. Évidemment chacun peut
utiliser le langage de son choix, mais il s'agit là non pas d'un patois anodin
mais d'une entreprise de transformation du sens, des concepts. Quant un mot
finit par vouloir dire son contraire, l'individu devient schizophrène, il ne
peut plus exprimer l'inexprimable, faute de pouvoir être compris, il devient
l'anormal, l'asocial, le rééducable ou il se tait tout simplement. Xavier
COLLET, le 16/12/99 |